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autour de lui une présence divine. Et pourtant son cœur ne s’ouvrait toujours pas.


Alors il s’aperçut tout à coup d’une vérité singulière : il comprit qu’il y avait en lui une répugnance préconçue contre le miracle, et que c’était lui qui, de toutes les forces de son âme, s’opposait à l’admission des pensées religieuses. Il constata qu’il y avait en lui une volonté formelle de ne pas croire. Et, pour la première fois de sa vie, l’idée lui vint que ce qu’il cherchait, ce n’était peut-être pas la vérité pure, comme il se l’était imaginé jusque-là ; mais qu’il y avait certaines opinions pour lesquelles il avait une préférence, et que, par suite, il tâchait à les tenir pour justes et vraies, tandis qu’il y avait d’autres opinions qui lui déplaisaient, et que, en conséquence, il les taxait arbitrairement d’erreurs ou de mensonges.

Il marchait de long en large, dans sa cellule, inquiet et plein d’angoisse. Il aurait voulu s’agenouiller devant le crucifix : mais il se sentait le cœur aussi dur, aussi froid, aussi lourd, que si ce cœur eût été de pierre. Pour la première fois il comprenait que l’incroyance n’était pas affaire de raison, mais de sentiment et de volonté. Il se rappelait comment elle l’avait d’abord séduit par la liberté qu’elle lui avait promise, et comment ensuite, de proche en proche, il avait eu à chasser la foi de son âme, à chercher sans cesse de nouvelles objections contre elle, à lutter pour interdire à Dieu l’entrée de son cœur.

Il ne voulait pas croire ; et c’était pour cela qu’il ne croyait pas, pour cela qu’il se convainquait lui-même de la vérité de son incroyance. Impossible désormais de recourir aux grands mots, de parler encore de la lutte, au nom de la lumière et de la justice, contre des dogmes de mensonge et d’oppression. Tout cela n’était que des mots, des prétextes consciens ou d’inconscientes excuses, derrière lesquelles il s’était caché afin de ne pas regarder en face la vérité éternelle. Car la vérité est sévère, elle exige, elle ordonne et elle défend : tandis que l’incroyance lui permettait de s’étaler dans son misérable contentement de soi.

Le voyageur appuya sa tête aux barreaux de fer de sa cellule. Il se sentait bouleversé jusqu’au plus profond de son être. Et pourtant ces idées ne lui apparaissaient toujours encore que dans une clarté toute théorique. Elles ne voulaient toujours pas se changer en un acte pratique de foi, en une prière.


Tel était ce Livre de route : une audacieuse apologie des dogmes, du culte, et de l’esprit catholiques. Toutefois, sous la thèse religieuse qui en faisait l’objet principal, le livre abondait en longues descriptions de nature et d’art ; et constamment l’auteur y avait joint à la gracieuse et savante musique de sa prose, de petits poèmes en vers, soit que, dans la solitude pittoresque de Rothenbourg, il se divertît à traduire en stances danoises les chansons populaires allemandes recueillies jadis par Brentano et Arnim, soit que, parmi les oliviers des collines de l’Ombrie, il évoquât tendrement le souvenir de ses plaines natales : de