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n’échappent pas à la critique, mais dont le principe fondamental peut être accepté comme une transaction entre les idées du passé et celles du présent. Cette loi, due à l’initiative de M. Goblet, a eu pour objet et pour effet d’achever la laïcisation de l’enseignement primaire. On comprend très bien que, dans la situation politique où nous sommes, l’enseignement donné par l’État soit purement laïque ; mais à cette laïcisation complète de l’enseignement public doit correspondre la liberté non moins complète de l’enseignement privé. C’est ce que M. Goblet s’était efforcé d’établir. Après avoir organisé laïquement l’enseignement public, il avait reconnu à l’enseignement privé de droit de s’organiser à côté comme il l’entendrait. Si l’on remonte à l’origine des choses et aux premiers principes, comme l’a fait M. Charles Benoist, le droit du père de famille est antérieur à celui de l’État. Ce n’est pas le premier, mais le second, qui est un produit du temps et qui provient d’une conception politique plus ou moins artificielle. Néanmoins le droit de l’État se présente chez nous comme un fait historique dont nous ne contestons pas te bien fondé. Que l’État exerce son droit d’enseigner, rien de mieux ; mais qu’il respecte celui des individus. M. Buisson serait peut-être d’accord avec nous sur ces principes ; c’est seulement dans l’application que les divergences s’accusent. Il jette l’interdit sur les congrégations. Pourquoi ?

Il est difficile d’admettre que ce soit à cause des vœux que font leurs membres, puisqu’il reconnaît à chacun de nous le droit de les faire : c’est donc, à parler sincèrement, parce qu’il estime que la congrégation est un organisme trop puissant, et de là sans doute est venu dans son esprit l’idée d’un privilège qui lui aurait été accordé. L’État n’ayant pas de congrégations à son service, ne veut pas qu’il y en ait en dehors de lui, afin que l’égalité subsiste entre les enseignemens rivaux. Mais y a-t-il vraiment égalité lorsqu’on voit, d’une part, les congrégations dissoutes frappées dans leurs membres de déchéances personnelles, et, d’autre part, l’État qui, pour payer ses instituteurs et ses professeurs, pour construire ses écoles et ses lycées, en un mot pour faire son œuvre enseignante, a toutes les ressources du budget ? Si l’on voulait rétablir quelque égalité entre deux organisations aussi disproportionnées, il fallait laisser vivre un certain nombre de congrégations. Mais on a proscrit toutes celles qui enseignent, et M. Clemenceau continue de pousser au massacre, dans la crainte que quelques-unes n’y échappent par miracle, en répétant qu’il faut laïciser l’État. L’État, dites-vous ? personne ne s’y oppose ; laïcisez l’État autant que vous l’avez fait et plus encore si c’est