Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/528

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pouvoir s’y soustraire. Les théoriciens eux-mêmes n’ont osé qu’assez tard remonter ce courant, et ils ont rencontré de la résistance. Ils avaient beau écrire : « Les partis politiques apparaissent partout où la vie politique se meut librement. Ils ne disparaissent que chez les peuples paresseusement indifférens aux affaires publiques ou opprimés par un pouvoir violent. Leur absence est donc un signe d’incapacité ou d’oppression. » Les esprits imbus de la croyance, présentée alors comme scientifique, qu’il n’était pas jusqu’à l’État qui ne fût un mal, inévitable, lui aussi, mais un mal, se montraient réfractaires à reconnaître que les partis pussent être un bien.

Vainement la doctrine affirmait : « Les partis politiques se manifestent d’autant plus nettement que la vie politique est plus riche et plus libre. C’est l’effort et la rivalité des partis qui engendrent les meilleures institutions politiques, et qui mettent en lumière toute la richesse des forces latentes de la nation. Ne croyez point, avec certaines âmes timides, que les partis politiques soient une faiblesse et une maladie de l’Etat moderne. Ils sont, au contraire, la condition et le signe d’une vie politique forte. N’appartenir à aucun parti n’est nullement une vertu du citoyen, et dire d’un homme d’Etat qu’il est en dehors des partis est un éloge équivoque[1]. » Plus vainement encore, allant plus loin et poussant jusqu’au bout du raisonnement, la même doctrine déduisait, des axiomes qu’elle venait de poser ainsi, des conséquences de cette sorte : l’homme d’État, non seulement peut être, mais doit être un homme de parti, et le fonctionnaire, quelque impartial qu’il doive être dans l’exercice de sa fonction, peut cependant, en dehors d’elle, et comme citoyen, appartenir à un parti. Il suffit qu’il maintienne en lui parfaitement séparés, sans que jamais ils s’y mêlent, les droits du citoyen, et les devoirs du fonctionnaire ; que si, simple citoyen, il a oublié le fonctionnaire, redevenu fonctionnaire, il dépouille le citoyen ; que, sa défroque de parti rejetée, à l’heure où il rentre dans sa fonction, son impartialité soit pour lui comme la toge qu’il revêt, qui le couvre, et, en l’isolant de tout ce qui l’entoure, le grandit. « Les actes du fonctionnaire sont les actes mêmes de l’Etat. Le droit public, dans les attributions qu’il confère et dans les charges qu’il impose, ignore les partis. La

  1. Bluntschli, la Politique, traduction de Riedmatten.