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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/553

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logement, surtout chez les pauvres gens des faubourgs et de la campagne, aux portes des chambres était accroché un petit glockenspiel, avec cinq boules de métal qui, au mouvement de la porte, frappaient sur des fils et animaient la chambre d’un léger carillon.


Ainsi, sous le gouvernement paternel d’un prince bon et sage, la ville tout entière ne vivait que de musique. Rêveuse, indolente, pleine à la fois de la sensibilité allemande et de la langueur italienne, elle n’avait pas, — ou, plus exactement, elle n’avait plus, — de talent pour les autres arts : mais d’autant plus à cet art-là elle avait donné tout son cœur. Et le goût qu’elle y apportait n’était, il faut l’avouer, ni aussi pur que celui des Italiens ni aussi élevé que celui des véritables Allemands ; mais c’était un goût très original, sur lequel des siècles avaient passé sans le modifier, et dont une partie, — hélas ! la mauvaise partie, — semble bien s’être maintenue jusqu’à notre temps. Aujourd’hui encore, s’il n’y a guère d’endroit où, l’été surtout, on entende plus de musique qu’à Salzbourg, il n’y en a pas où, en revanche, on entende moins de bonne musique. Les innombrables chefs d’orchestre des restaurans et des brasseries de la ville ne soupçonnent pas, dirait-on, que les étrangers pour qui ils jouent soient capables d’écouter volontiers une ouverture de Mozart ou l’andante d’une symphonie de Haydn, au lieu de leurs valses, polkas, et pots-pourris d’opérettes. Ils se représentent probablement tous les goûts musicaux d’après le goût de leurs compatriotes ; et le fait est que celui-ci, dès le XVIIIe siècle, s’accommodait mal du genre « sérieux. » Non seulement il subissait sans plaisir l’oratorio, la fugue, tout l’art sévère des maîtres de l’Allemagne du Nord : l’opéra même l’ennuyait, avec ses grands airs et ses grands sentimens. L’humeur paresseuse des habitans de Salzbourg les portait, de nature, à redouter tout effort, et l’effort de la pensée plus que tous les autres. De telle sorte qu’ils s’étaient acquis, en Allemagne, une légendaire réputation d’inintelligence. Un vieux proverbe distinguait trois degrés du sot : l’imbécile, le crétin, et le Salzbourgeois. Mais la réputation était imméritée, le proverbe mentait, et, au fond, personne n’accusait les habitans de Salzbourg d’être tout à fait des sots. On voulait dire simplement qu’ils avaient un esprit superficiel, étroit, fermé aux questions difficiles de la politique ou des sciences : après