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Aussi bien dans les chairs que dans les draperies, on a reconnu que les points de soie trop fine devenaient « plats » en imitant le pastel.

Suivant la grosseur du point, l’ouvrage, on le conçoit, est plus ou moins long à exécuter : l’ouvrier d’Aubusson, en qualité commune, fera 20 mètres par an, et 6 ou 8 mètres seulement en tapisserie fine. Aux Gobelins, l’artiste qui a produit le plus a fait, depuis dix ans, 32 mètres ; celui qui a produit le moins en a fait 10. De 1893 à 1903, la moyenne de surface tissée est de un mètre vingt et un centimètres par tête et par an.

Il semble que les tapissiers du XVIIe siècle, dont quelques-uns se sont succédé de père en fils devant le métier, les Vavoque de 1638 à 1829, les Simonet de 1680 à 1831, travaillaient plus rapidement. Les 250 ouvriers de Louis XIV fournirent quelque 650 mètres chaque année, soit 2m, 66 chacun, tandis qu’au XVIe siècle, les 84 tapissiers de Charles-Quint, auteurs des douze pièces de cette « Conquête de Tunis » dont j’ai parlé plus haut, fabriquèrent chacun trois aunes de Bruxelles par an, soit un mètre cinquante centimètres carrés actuels. Mais il est possible que les maîtres-ouvriers fussent assistés, dans leur besogne, par des aides ou des apprentis dont la présence n’était pas toujours mentionnée dans les comptes de jadis[1].


III

Pour les tapisseries, comme pour les tapis de toute sorte, la teinture des laines est une opération préliminaire qui a suscité, de nos jours, de nombreuses et délicates controverses. Les couleurs minérales, tirées de la houille, doivent-elles être irrémédiablement condamnées ? Sont-elles, au contraire, susceptibles de progrès, et n’ont-elles pas en effet sensiblement progressé depuis leur découverte, il y a un demi-siècle ? Le reproche, fait de nos jours aux tissus, de n’être pas « bon teint » ne date pas d’hier. Je remarque dans des édits royaux, vieux de deux siècles et demi, — ils remontent à Louis XIII, — des doléances très amères sur les couleurs dégénérées des teinturiers, que le gouvernement d’alors accusait de détériorer les textiles par leurs « méchantes drogues. » Pour mettre fin à ce dévergondage, l’Etat donnait la liste des

  1. Voyez à ce sujet mon Histoire de la Propriété, des Salaires, etc., t. III, p. 113 et 152.