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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/717

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de plier bagage est d’une simplicité qui désarme ; mais elle dénote quelque désarroi. Si le ministère est fatigué, la Chambre l’est aussi ; elle ne tient plus assez à des attributions dont l’exercice lui cause tant de tracas, pour les disputer à M. Rabier qui veut les faire passer au Conseil d’État. Le Conseil d’État fera ce qu’il voudra, ou ce que voudra le ministère ; la Chambre, pour son compte, ne demande qu’à en finir. Elle en a fini. Mais il reste encore un gros nuage à l’horizon, un nuage très lourd et très noir auquel la majorité ne peut plus échapper, c’est celui qui s’est formé autour de la tête de M. Pelletan. La guerre d’Extrême-Orient a mis de l’angoisse dans la question de savoir si notre marine est en bonnes mains. On ne le croit pas généralement. Si M. Pelletan est calomnié, il a le malheur de l’être à l’unanimité des gens du métier, auxquels les autres sont venus naturellement se joindre, de sorte qu’il n’y a qu’un cri contre lui. La commission du budget s’en est émue. Elle a entrepris, avec l’adhésion de la Chambre, une sorte d’enquête sur l’état de la marine ; mais, comme elle n’a pas de compétence spéciale en cette matière et qu’elle n’exerce d’ailleurs pas les pouvoirs étendus d’une véritable commission d’enquête, sa situation est assez fausse. Elle s’en est aperçue un peu tard, et a chargé un de ses membres de faire part à la Chambre de sa découverte. M. Pelletan, entendu par elle, a bien voulu lui dire tout ce qui était à sa décharge, mais il s’est refusé, avec infiniment de dignité, à lui rien livrer de ce qui pourrait le compromettre, sous prétexte que la défense nationale serait compromise avec lui. Le président de la commission du budget, M. Doumer, a pris nettement position contre M. le ministre de la Marine. Il est engagé à fond. Ira-t-il jusqu’au bout ? et, s’il va jusqu’au bout, sera-t-il suivi ? C’est la question de demain.

C’est aussi la dernière que la Chambre aura à trancher avant les vacances, et il n’y en a pas de plus grave. Si notre défense sur mer est en danger, il faut qu’on le sache, et la Chambre s’exposerait à la plus fâcheuse responsabilité en fermant ses yeux à la lumière. Quelque chose nous dit pourtant qu’elle les y fermera.


FRANCIS CHARMES.