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de deux natures, adjectif et participe ; et il a deux sens : voyez le Dictionnaire de l’Académie. Adjectif, le mot privé veut dire particulier : conseil privé, vie privée, et, je ne le conteste pas, enseignement privé. Participe, privé de signifie dépourvu de. Or, dans les articles où il était employé en cette forme, il donnait lieu aux quiproquos les plus étranges. Ainsi, article 8, on trouve « des établissemens privés de garçons » ; article 9, « des établissemens privés de jeunes filles » ; articles 2 et 12, ce sont « des établissemens privés d’enseignement secondaire », et, dans l’article 12, il est dit spécialement que le ministre de l’Instruction publique doit faire « visiter, au moins une fois par an, les établissemens privés d’enseignement », c’est-à-dire dépourvus d’enseignement secondaire. Et j’ajoutais : « Si la commission n’admet pas, comme je le demande, la substitution du mot libre au mot privé dans le texte, qu’elle substitue alors elle-même, dans le litre, au mot libre, le mot privé, avec une simple addition : privé de liberté.

Le Journal officiel constate que l’on a ri (sourires à droite… nouveaux rires approbatifs sur les mêmes bancs) ; mais le Bloc n’a pas remué, elle vote le constate : l’amendement a été repoussé par 182 voix contre 72.

La liberté d’enseignement avait donc eu bien des vicissitudes avant d’arriver à son terme. Après avoir aboli ce qui restait de la loi Falloux, en votant l’article premier de la proposition Béraud, accepté par la commission, le Sénat, malgré cette même commission, avait condamné le monopole en rejetant l’article 2 de la même proposition. Prenant dès lors le projet du gouvernement pour base, allait-il rétablir la liberté dans des conditions définies ? Il avait adopté le principe, on discutait ces conditions comprises avec le principe même dans le premier article du Gouvernement. Parmi ces conditions, il y en avait une qui refusait le bénéfice de la loi aux membres des congrégations non autorisées. Ce fut le point où la phalange Béraud compta bien prendre sa revanche par l’amendement Delpech ; l’amendement, soutenu par de hautes influences, fut voté à 11 voix de majorité. Cette faible majorité n’en décida pas moins du sort de la loi tout entière. Tous les articles, depuis l’article premier du gouvernement, devenu l’article 2 de la loi, furent votés dans la même journée. Rien n’était à regagner avant la seconde lecture, où l’amendement Delpech allait revenir ; mais M. Waldeck-Rousseau n’était plus là ; malgré l’éloquence de nos orateurs, l’amendement Delpech fut maintenu à une majorité plus grande (178 contre 79), et tout le reste suivit jusqu’au vote final (23 février, 181 contre 95).