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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/732

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Dubois, très penaud, quitta son poste et gagna la galerie. C’était, devant la colère montante de Paris, un sauve-qui-peut, une galopade effarée, l’aspect d’une fourmilière labourée : les valets jetaient leur livrée, les femmes, en hâte, ficelaient des paquets, chacun s’efforçait de gagner les portes, recherchant les couloirs sombres, se faufilant vers les sorties, encore libres, de la chapelle et du pavillon de Marsan.

Car la cour des Princes et la cour Royale sont déjà envahies ; on se bouscule, on ricane, on invective un groupe que forment les officiers de la garde nationale, autour de Gouvion, leur major général qui commande en chef les postes du château. Gouvion, dans le bruit, raconte que, la veille, vers onze heures du soir, il a reçu, d’une femme, avis de l’évasion ; il en a prévenu sur-le-champ le commandant général Lafayette : toutes les portes, toutes les grilles ont été fermées. Deux commandans de bataillon, un capitaine, un aide-major et un officier subalterne ont veillé toute la nuit dans la cour ; lui-même, Gouvion, est resté là plusieurs heures : il n’a vu sortir personne ; et le pauvre homme, très ému et rouge, épouvanté de sa responsabilité, fait serment que la famille royale n’a pas pu fuir, à moins d’un sortilège ou d’un escamotage. Comme l’escamotage est évident, on hue, on siffle, on s’indigne : tout de suite surgit la persistante version du souterrain des Tuileries par lequel on peut gagner Vincennes ou Marly, et l’irritation populaire se fouette de bourdes folles, aussitôt admises qu’énoncées. D’aucuns prétendent que le Veto est là, avec sa famille, terré dans quelque cachette. A huit heures et demie, cent mille curieux s’écrasent aux murs des Tuileries ; le tocsin tinte, les tambours roulent, les boutiques se ferment[1], la fièvre monte, et par toutes les portes à la fois, la foule fait irruption dans le château, poussant des clameurs d’indignation contre les déserteurs, et de vengeance contre Lafayette qui les a laissés fuir[2].

Lafayette, après le coucher du Roi, était rentré à son hôtel, rue de Bourbon (de Lille) à l’angle de la rue de Courty, et

  1. Lettre de Mme Roland à Bancal, mardi 21 juin 1701.
  2. « Il est presque impossible que Lafayette ne soit pas complice. » — Lettre de Mme Roland, même date.