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— Agissons donc, messieurs ! crie-t-on.

Le peuple, au dehors, bat les murs du manège : il vient d’être décrété que les portes resteront closes, qu’aucune députation ne sera admise[1], et la foule s’impatiente ; on perçoit de la salle sa grande rumeur continue ; les législateurs quittent leur place, les conversations se croisent.

— Du calme, messieurs, du calme ! recommande le président. On entoure la table des secrétaires : quelques députés, familièrement, s’assoient sur les marches de la tribune, il fait chaud, on s’éponge. D’autres se massent, en dépit du règlement, autour des poêles, à cause de l’air frais qu’apporte leur ventilation. De temps à autre, des huissiers passent, aspergeant de vinaigre, par mesure de salubrité, le parquet de la piste[2].

Voilà que, dans le bruit, Beauharnais se lève, il vient d’apprendre qu’un des aides de camp de Lafayette, arrêté par le peuple, demande à être entendu de l’Assemblée, et tout de suite un jeune officier paraît à la barre. C’est Romeuf.

Un peu ému, il expose que, « porteur de l’ordre du commandant général, il quittait, avec son camarade Curmer, l’hôtel Lafayette pour gagner la barrière et s’élancer sur la route de Mons, quand, arrivé au pont Louis XVI (de la Concorde), il fut arrêté par les ouvriers qui travaillent à son achèvement, jeté à bas de son cheval et fort maltraité ; il a pu s’échapper avec l’aide de quelques bons citoyens qui l’ont préservé des coups ; mais la foule l’a traîné au corps de garde des Feuillans, et il est fort inquiet de son compagnon disparu dans la bagarre… »

Ce qui intéresse l’Assemblée, c’est moins le sort du jeune Curmer que le texte de l’ordre de Lafayette ; elle en demande communication ; Romeuf présente le papier au président qui en donne lecture aux applaudissemens unanimes. Et Beauharnais, saisissant l’occasion, propose de confier à ce courrier qui tombe du ciel une copie du décret de l’Assemblée… Une clameur : Oui ! Oui ! s’élève de tous les gradins. Romeuf supplie « qu’on pourvoie à la sûreté de son camarade qui en a peut-être grand besoin

  1. Camus :… Je demande que l’Assemblée nationale ordonne aux chefs de l’administration et de la force publique d’employer une garde suffisante pour empêcher aucune autre personne que les députés de pénétrer dans la salle. (Applaudissemens.) L’Assemblée adopte cette proposition.
    Archives parlementaires, séance du 21 juin 1791.
  2. Armand Brette, Histoire des édifices où ont siégé les assemblées parlementaires de la Révolution. Tome 1er, Le manège des Tuileries.