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présence de l’unanimité des témoignages : Bayon dit : — « Je me suis fait devancer par un guide qui, le premier, a porté la nouvelle à Sainte-Menehould, et provoqué le zèle patriotique de Drouet[1]. » Romeuf atteste : — « Le maître de poste de Châlons a averti celui de Sainte-Menehould[2]. » Georges le député, maire de Varennes, renchérit : — « Drouet a beaucoup brodé son récit quoiqu’une matière aussi grave en fût peu susceptible[3]. » Drouet lui-même avouera plus tard : — « que c’est le maître de poste[4]de Châlons qui est venu lui dire[5]. » Cette rectification ne change évidemment rien à l’histoire, mais elle éclaire singulièrement la figure assez louche de Drouet, qui se taille la gloire dans une aventure dont Viet, peu soucieux d’une telle renommée, lui abandonne la responsabilité.

Quoi qu’il en soit, tous les habitans de Sainte-Menehould, massés sur la place Royale devant l’Hôtel de Ville, avaient vu avec anxiété partir Drouet à la poursuite du Roi, sur une route qu’avec quelque vraisemblance on supposait « parcourue en tous sens par la cavalerie. » Une heure, deux heures s’étaient passées sans nouvelles. Quatre citoyens montent à cheval et partent à la découverte : mais au poste de la porte des bois, la garde les prend pour des dragons ; une fusillade éclate ; l’un d’eux tombe mort, un autre est blessé : cris, tumulte, bagarre, bousculade : la ville entière est prise de panique. Les bourgeois s’affolent, chacun court à sa maison « pour s’y enfermer ; » mais les gens du peuple, plus résolus, barrant les rues, obligent les bourgeois à rester sur la place, disant « qu’on ne sera en sûreté qu’en grand nombre et que tout le monde doit partager le péril s’il y en a[6]. » Le tocsin tinte sans discontinuer[7] ; l’ordre est donné à toutes les ménagères de cuire du pain pour subvenir aux besoins des défenseurs de la ville ; au cri des lampions ! toutes les fenêtres s’éclairent de chandelles ou de pots de suif[8] ; devant l’Hôtel de

  1. Pétition du sieur Bayon à l’Assemblée nationale.
  2. Archives parlementaires. Séance du 24 juin 1791. Ce n’est pas le maître de poste de Châlons en personne qui avertit Drouet, puisque Viet n’arriva à Sainte-Menehould qu’à minuit, au moment même où Drouet arrêtait à Varennes la berline royale.
  3. Archives nationales D XXIXb 37.
  4. Le comte de Fersen et la Cour de France, II, p. 94.
  5. Nous réitérons l’observation, c’est l’émissaire du maître de poste et non le maître de poste lui-même.
  6. Buirette, Histoire de Sainte-Menehould.
  7. G. Fischbach, La fuite de Louis XVI d’après les archives de Strasbourg.
  8. Ibid.