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excédé[1] : conseil général de la commune, membres du Tribunal, juge de paix, greffier, capitaine, quartier-maître et porte-drapeau de la garde nationale. Tous, depuis qu’a été reconnu le Roi, gardé non loin de là, dans la maison de l’épicier Sauce, procureur de la commune, discutent sans parvenir à s’entendre. Laissera-t-on les fugitifs poursuivre leur voyage vers la frontière ? Les ramènera-t-on vers Châlons ? L’armée de Bouillé accourt, et ses éclaireurs ont déjà paru en haut des vignes de Cheppy. Varennes contient en ce moment six mille hommes accourus, dans la nuit, de toute la contrée. Conserver le Roi, c’est exposer la ville à un assaut, au cours duquel les plus grands malheurs sont à redouter. L’entrée en scène des Parisiens est donc, pour ces petits bourgeois de Varennes, écrasés de cette effrayante responsabilité, un indicible soulagement ; en un instant, les pouvoirs de Romeuf sont vérifiés, le parti est pris d’avertir aussitôt le Roi « du désir de la France entière. » La corvée ne plaît à personne ; mais le temps presse, il faut s’exécuter ; on part, une sorte de cortège se forme, descend le perron de l’Hôtel de Ville et s’avance, dans la rue déclive qui traverse toute la bourgade.

Entre la double haie de gardes nationaux, déformée par la presse, et qui, tant bien que mal, zigzague depuis le haut de la ville jusqu’à la maison où est réfugiée la famille royale, s’avance le procureur-syndic Sauce, la figure allongée et pâle, les yeux fixes, presque égarés, « l’air d’être en léthargie, » rapporte un témoin[2]. Derrière lui marchent Romeuf et Bayon, dans leur pimpant uniforme de la garde parisienne : tunique bleue à plastron garance, avec franges d’argent aux épaules, tous les deux d’ailleurs couverts de poussière. Romeuf est grave et triste ; Bayon très agité et rouge ; il est débraillé, le col ouvert et parle beaucoup ; puis viennent pêle-mêle les officiers municipaux, Pultier, Person, Florentin, le juge Destez, le capitaine de canonniers

  1. « L’Hôtel de Ville vieux de six siècles qui fut démoli en 1793. » L’abbé Gabriel.
    « Nous avons été rendre compte à la municipalité de l’objet de notre voyage. » Rapport de Romeuf à l’Assemblée. Archives parlementaires, XXVII, p. 478.
    « Il y avait, en 1791, sur la place du château, un ancien édifice connu sous le nom de Palais. C’était le prétoire du bailliage d’Argonne et il recouvrait entièrement le sol de la place. Il était très spacieux et renfermait les prisons, les balles du marché public… ce vieil édifice servait encore de maison commune. (Manuscrit Coulonvaux.)
  2. Rémy.