Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/823

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
817
l’amérique française

doustan, en Indo-Chine, à Madagascar, leur souvenir dura au-delà de leur œuvre ; il en fut de même en Louisiane et aux Illinois. Un sourire de fierté passe sur les lèvres créoles quand on prononce le nom de celui qui se nomme encore, là-bas, le « grand marquis. » Ni comme fermeté, ni comme ampleur d’intelligence, Vaudreuil ne réalisa l’idéal du gouverneur. Mais sa haute urbanité, secondée par l’élégance raffinée de sa femme, lui assura néanmoins une popularité qui a défié le temps et que n’égale point celle des meilleurs gouverneurs espagnols, Galvez ou Carondelet. À peine installés à cette extrémité de l’univers d’alors, au milieu d’une nature presque inculte, délaissés par l’ancienne France et sans communications avec la nouvelle, Mme et M. de Vaudreuil se préoccupaient de faire « bonne figure, » de policer autour d’eux la société naissante, d’apprendre à leurs administrés les révérences, les grandes manières et l’étiquette ; de même que l’Anglais d’aujourd’hui se hâte d’installer son tennis et de bâtir son club, démontrant à nouveau cette antique vérité, qu’il y a des choses prétendues superflues dont l’importance primera toujours pour l’homme celle des choses dites nécessaires… Et il fallait que cette importance s’imposât de façon bien inéluctable pour induire un bon père de famille comme Kerlerec à se ruiner plutôt que de ne point représenter dignement son souverain et son pays. « Je touche 12 000 livres, et, avec économie, j’en dépense quarante, écrit-il. J’ai vendu les deux tiers de mes biens, dépensé les mille louis d’or que j’avais apportés de France, et n’ai plus que des dettes… » Mais le ministre faisait la sourde oreille.

Tandis que le carrosse doré de la marquise de Vaudreuil circulait à travers les rues embryonnaires de la Nouvelle-Orléans et que des laquais poudrés lui tenaient le marchepied devant les perrons de bois et les façades de torchis, deux officiers français, le major Makarty et M. de Neyon s’installaient aux Illinois, qu’on venait d’ériger en lieutenance royale. « Largement arrosée par le Mississipi, l’Illinois et la Ouabache, cette contrée, dit M. de Villiers, renfermait de magnifiques forêts et de gras pâturages. C’était de plus la terre promise pour les trappeurs : le daim, l’élan, le bison, le chat sauvage, l’opossum y abondaient. » Dès 1680, La Salle y avait construit un fort ; au commencement du xviiie siècle, les Jésuites y avaient établi des missions, et c’est à eux qu’on devait, avec la fondation des villages de Kaskakias et