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de Cahokias, le premier développement de la colonie. La population comprenait quatre élémens : les colons agriculteurs, gens fort tranquilles, mais insoucians et assez paresseux ; les traiteurs de fourrures, remuans et hardis ; les esclaves nègres, encore peu nombreux ; enfin les Indiens, Peorias, Tamaronas, Cahokias, etc., groupés sous le nom générique d’Illinois. Telle était la région que les deux braves officiers allaient entreprendre d’organiser d’une façon un peu régulière. En dix ans, bien entendu, ils ne purent achever leur tâche, mais ils y apportèrent cet équilibre pondéré, cet esprit de discipline et d’obéissance, cette ingéniosité à se tirer d’affaire, cette bonne humeur inlassable, ce souci d’humanité qui distinguaient alors les Français de leur trempe et de leur milieu. Rien ne manquait à un tel ensemble de belles qualités, que la confiance fécondante, la foi en l’avenir. Coutumiers des contre-ordres maladroits et des abandons injustifiés, ils se sentaient les employés des fantaisies royales plutôt que les serviteurs d’un vaste dessein patriotique ; ils savaient leurs conquêtes à la merci des caprices d’une favorite, au lieu qu’elles fussent à l’abri d’une solide ambition nationale ; — et cela mettait quand même un peu de mollesse au fond de leurs audaces et quelque hésitation dans leur vigueur.

Les explorateurs n’éprouvaient point les mêmes soucis. Il y en eut toute une foule dont les exploits nous demeurent presque inconnus : Le Sueur, Juchereau de Saint-Denis, le Père Pinet, Charleville, La Harpe, du Tisné, La Noue, Bourgmont, le Père Charlevoix, hommes de volonté sagace et de prudence persévérante ; ils parcoururent le pays des Natchez, la région de l’Arkansas, les confins des Illinois, puis les bassins du Missouri et du Minnesota, relevant les particularités géographiques, s’abouchant avec les sauvages, parlant de la France et de son roi et lui conquérant des sympathies. De très haut, les domine la grande figure de Robert Cavelier de la Salle, le hardi Normand envers qui le sort se montra d’une cruauté si inlassable et la mère patrie d’une ingratitude si notoire.

Tout à l’heure nous avons cité le nom de Le Moyne d’Iberville comme celui du véritable fondateur de la colonie, que gouvernèrent successivement deux de ses frères, Le Moyne de Sauvolle et Le Moyne de Bienville : ce dernier mérita d’être appelé le « père de la Louisiane, » à cause des services signalés et nombreux que, pendant trente-cinq années et à des titres divers, il