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l’amérique française

La vive admiration dont Charles iv se sentait alors pénétré pour le héros français facilita la combinaison. Le traité de Saint-Ildefonse fut signé le 1er  octobre 1800 : il demeura secret tant que dura la guerre avec la Grande-Bretagne. D’ailleurs, la Louisiane ne devait être remise à la France qu’au moment où le roi d’Espagne prendrait possession du nouveau royaume d’Étrurie. Au printemps de 1802, l’envoi d’une expédition militaire à la Nouvelle-Orléans fut décidé : Bonaparte désigna Bernadotte pour la commander, et des troupes commencèrent de s’assembler à Helvœtt Sluys, petit port situé à quelques kilomètres de Rotterdam. Douze navires furent armés ; on embarqua pour 500 000 francs de présens destinés aux Peaux-Rouges : fusils, sabres, pioches, chemises, mouchoirs de soie noire, bracelets, pendans d’oreilles, plus « 500 redingotes de drap bleu de Carcassonne avec paremens et collets rouges. » Deux cents médailles à l’effigie du Premier Consul arrivèrent de Paris. À la place de Bernadotte, qui avait fait des difficultés pour accepter, Victor, le futur duc de Bellune, fut choisi ; il devait exercer là-bas le pouvoir en qualité de « capitaine-général. » Pendant ce temps, Laussat, nommé « préfet colonial, » s’était embarqué à La Rochelle.

Victor n’attendait plus que l’ordre de départ, lorsqu’un courrier arriva à bride abattue, décommandant l’expédition ; depuis deux jours la Louisiane appartenait aux États-Unis, et l’ambassadeur d’Angleterre faisait ses préparatifs pour quitter Paris ; la paix d’Amiens n’existait plus ; la guerre allait recommencer. C’est à Saint-Cloud, le 10 avril, que s’était décidé le sort de la colonie. Barbé-Marbois, ministre du Trésor, et Decrès, ministre de la Marine, s’entretinrent à ce sujet avec Bonaparte ; le premier était favorable, le second hostile à la cession. D’après Barbé-Marbois, le Premier Consul, ayant entendu l’exposé de leurs opinions, s’exprima en ces termes : « Je connais tout le prix de la Louisiane, et j’ai voulu réparer la faute du négociateur français qui l’abandonna en 1763. Quelques lignes d’un traité me l’ont rendue, et à peine je l’ai recouvrée que je dois m’attendre à la perdre. Mais, si elle m’échappe, elle coûtera plus cher un jour à ceux qui me forcent à m’en dépouiller qu’à ceux à qui je veux la remettre. Les Américains ne me demandent qu’une ville de la Louisiane ; mais je considère déjà la colonie comme perdue tout entière, et il me semble que, dans les mains de cette puissance naissante, elle sera plus utile à la politique et même au com-