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d’enfans venait de se répandre sur le perron en poussant de grands cris et de bruyans éclats de rire ; c’étaient les petits-enfans du Roi, au nombre de sept ou huit, qui commençaient leurs jeux, et certes jamais pension en vacances ne fit un plus charmant tapage.

Deux des enfans passèrent en courant auprès de nous ; l’un était grand pour son âge, très élancé, avec une figure un peu pâle et sérieuse ; c’était M. le Comte de Paris ; l’autre, plus petit et plus animé, était son frère, M. le Duc de Chartres. L’un et l’autre paraissaient fort occupés d’un grand cerf-volant qu’il s’agissait de lancer.

Nous suivîmes tristement des yeux ces frêles héritiers d’une couronne si fatale. L’un et l’autre ont déjà vu de près le 24 février, l’horrible tumulte d’une révolution, et nul ne sait quelles destinées leur réserve l’obscur avenir.

A les voir si insoucians, si gais, on ne peut s’empêcher de se dire qu’ils sont mille fois plus heureux dans la liberté de leur condition présente qu’ils ne l’auraient jamais été aux Tuileries. Leur sort futur serait également bien plus doux, s’ils pouvaient jouir en paix de cette existence brillante et aisée que donne la jouissance d’une grande fortune dans une condition privée, que s’ils sont forcés de courir encore les chances formidables de la royauté.

Mais ces pauvres enfans sont nés princes et ce titre funeste les livre à tous les hasards d’une situation exceptionnelle. Partout où leur nom les mènera, ils seront contraints de le suivre.

Continuez vos jeux enfantins, Monseigneur, vous êtes encore, quoique vous grandissiez dans l’exil, à la plus heureuse période de votre vie !

Nous trouvâmes dans le salon la Reine, M. le Duc et Mme la Duchesse de Nemours. La Reine se leva vivement en nous voyant ; elle était en grand deuil, et ses traits amaigris, sa grande taille un peu courbée attestaient le ravage des chagrins et des ans ; mais elle avait encore un air remarquable de force et de vie. Je ne pus retenir mes larmes en voyant cette femme et cette mère qui portait à la fois le deuil de son mari et de trois de ses enfans.

Elle adressa alors quelques paroles à Monseigneur pour le remercier de sa visite, et, se tournant ensuite vers moi :

— Ah ! monsieur de Lavergne, quel article ! Nous l’avons lu bien des fois, le Roi et moi, et je regrette bien que vous n’ayez pas entendu de sa bouche ce qu’il aurait été si heureux de vous dire.

Elle ajouta encore bien d’autres paroles bienveillantes que j’entendis à peine, tant j’étais ému. M. le Duc de Nemours s’approcha à son tour pour m’adresser les mêmes remerciemens et Mme la Duchesse de Nemours, plus belle et plus gracieuse que jamais, y joignit les siens, accompagnés du plus charmant sourire. Certes, jamais auteur ne fut