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mieux payé de ses peines ; ces augustes témoignages me touchèrent d’autant plus que je ne les avais pas cherchés.


La conversation s’engage entre la famille royale et les deux visiteurs, trop longue à la fois et trop intime pour être rapportée ici. Je crois pouvoir néanmoins en reproduire la fin, pleine de mélancolie et de noblesse :


La Reine s’étant levée pour nous donner congé, tout le monde se leva.

Au moment où j’allais sortir, la Reine vint à moi et me tendit la main :

— Que je vous remercie encore, me dit-elle avec expression, du bien que vous avez fait au Roi ! Je suis heureuse que vous m’ayez fourni l’occasion de vous le dire moi-même.

Puis, d’une voix basse et sérieuse, elle ajouta :

— Ne croyez pas que je désire quelque chose pour l’avenir. Éprouvés comme nous le sommes, je ne sais pas ce que je dois désirer pour ma famille. Mais je voudrais voir la France plus heureuse et plus calme ; c’est mon seul vœu, c’était le seul vœu du Roi, qui était le meilleur des Français, comme il était le meilleur des maris et des pères.

— Que Votre Majesté prie pour nous, répondis-je, Dieu doit aimer et écouter sa voix.

— Vous pouvez bien vous dire, me dit à son tour M. le Duc d’Aumale en nous reconduisant, que vous avez adouci les derniers momens du Roi. Vous avez été pour lui la voix de l’histoire.

— C’est une grande consolation pour moi, Monseigneur.

— Et une grande aussi pour nous, ajouta gracieusement le Prince, en me serrant la main.


Ces pages, dont Lavergne n’avait parlé à personne, dont ses plus intimes amis ne soupçonnaient pas l’existence, retrouvées par hasard dans ses papiers, et qui, par conséquent, n’étaient point destinées à la publicité, le montrent dans toute la simplicité et toute la générosité de sa nature.

Il connaissait à peine la famille royale, il le dit lui-même dans cette relation : « J’allais très rarement aux Tuileries et je n’avais guère vu le Roi et sa famille, à l’exception pourtant de M. le Duc d’Aumale, que dans les réceptions officielles. J’ai pour les princes beaucoup de respect, mais peu d’attrait : je me sens auprès d’eux très mauvais courtisan, fort peu sensible aux prévenances banales qu’ils sont obligés d’avoir pour tout le monde,