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fort gêné en présence des gens qui ne peuvent avoir avec moi aucun abandon. » Il n’avait rien à attendre de cette famille déchue de sa grandeur, car il avait entrevu, dès les premiers jours de la révolution de Février, que le torrent de la démocratie, débordant ses rives, ne pourrait plus rentrer dans le lit que la royauté avait essayé de lui creuser. Mais touché du bien que la monarchie de Juillet avait fait à la France, touché des efforts intelligens et courageux tentés pour donner au pays un gouvernement à la fois libre et stable, il avait voulu témoigner aux nobles exilés son admiration et sa reconnaissance.

Parmi les institutions fondées par la seconde république, une des plus utiles était l’Institut agronomique. C’était une sorte d’école normale de l’agriculture, joignant à l’enseignement scientifique le plus élevé, la pratique approfondie de la culture, à la fois école de théorie et d’application. Le gouvernement d’alors s’était montré envers cet établissement d’une libéralité sans égale. Il en avait fixé le siège à Versailles. On avait affecté aux différens services de l’Institut les bâtimens occupés jadis par la Maison du Roi et l’on avait détaché du grand parc près de mille hectares pour servir aux expériences agricoles. Pour que la faveur n’eût aucune part dans le choix des professeurs, les chaires furent mises au concours.

La chaire d’économie et de législation rurales avait suscité de nombreux concurrens.

Tout ce que l’agriculture comprenait d’hommes considérables, les Barral, les Lecoulteux, les François Bella, étaient entrés en lice ; mais l’on ne fut pas médiocrement surpris d’apprendre que Lavergne se mettait sur les rangs. Je ne crois pas exagérer en disant qu’à cette époque, son savoir, en fait d’agriculture, n’allait pas au-delà des Géorgiques. Il avait acheté en 1846, pour employer la dot de sa femme, un château dans la Creuse, le château de Peyrusse, environné d’une terre de trois cents hectares. Mais je doute qu’en raison des exigences de sa double situation de diplomate et de député, il y eût mis les pieds depuis son acquisition. A coup sûr, il était resté complètement étranger à l’exploitation de ce bien rural. C’était donc une carrière nouvelle qu’il entreprenait, et les professionnels ne le voyaient point sans un sourire légèrement ironique s’y aventurer.

L’événement toutefois donna raison à la tentative hardie de Lavergne. Après un concours des plus brillans, il fut nommé