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En présence d’êtres moralement aussi dégradés, comment agissent-ils ? Pas autrement que ne feraient des parens sages et pleins de sollicitude pour éduquer des enfans terribles et malicieux. Il n’y a pas, en effet, deux pédagogies, l’une à l’usage des blancs, l’autre pour les hommes de couleur. Les missionnaires commencent par fixer les indigènes, s’ils sont nomades, affranchir les esclaves, instruire les ignorans et éclairer les victimes de la superstition. Puis, sachant que le travail est ennoblissant, ils s’efforcent de les habituer à un travail régulier, en stimulant leur apathie, soit par les fruits qu’il leur rapporte, soit par des primes attribuées aux meilleurs ouvrages. Il faut citer, dans cet ordre d’idées, les ateliers d’apprentissage, établis par les Pères du Saint-Esprit à Bagamayo (sur la côte de Zanguebar) et les écoles professionnelles ouvertes par les Missions protestantes à Lovedale. Ce travail amène peu à peu l’indigène à s’attacher à sa case et à son champ et à respecter la propriété du voisin. On développe ensuite l’amour de la justice et de la vérité, ces deux conditions de la vraie liberté. Tandis que la servitude et l’injustice d’un pouvoir arbitraire poussaient les indigènes au mensonge, à la ruse, souvent au crime, la liberté sous la loi engendre, comme premiers fruits, la véracité et la franchise. Or, ce ne sont là que les deux premières étapes de l’éducation du païen.

Il faut, en troisième lieu, l’exercer à combattre ses convoitises, et à corriger ses passions, qui sont ardentes chez cet adolescent et, pour cela, il faut tremper le ressort de sa conscience ; c’est à quoi la morale chrétienne est d’un service incomparable, car l’Évangile est la grande école d’abnégation. Dans la lutte contre la passion de l’alcool ou de l’opium, les missionnaires font appel, comme auxiliaires, à l’autorité civile ou à la discipline ecclésiastique. S’ils ont l’oreille du gouvernement, ils tâchent d’obtenir l’interdiction de la vente de l’opium et des boissons alcooliques ; par exemple, le mikado, sur leur demande, a prohibé l’importation de l’opium à Formose et Khama, le roi des Bamangvatos (tribu des Betchouanas), devenu chrétien, a supprimé tous les débits d’alcool dans ses Etats. Sinon, ils encouragent la formation de ligues contre l’alcool et contre l’opium, dont les membres s’engagent, par un vœu solennel, à s’abstenir de ces poisons délicieux. Et si, malgré tout, les ivrognes ou les opiomanes succombent, on leur refuse les sacremens de l’Église et