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au prix d’injustices, de représailles sanglantes, et de rancunes accumulées dans le cœur des païens et qui les rendent désormais sourds à toute prédication chrétienne, parce que, pour eux, elle est devenue synonyme d’immixtion et de conquête étrangère. On pourrait multiplier les exemples de cette mauvaise méthode : il suffira de citer l’intervention du gouvernement français dans les affaires de Tahiti[1] , celle de l’Angleterre et ses alliés à Samoa ou aux Philippines, et celle de l’Empire allemand en Chine, qui commença par l’occupation de Kiaou-Tcheou pour finir par l’assassinat du ministre d’Allemagne et le siège des légations à Pékin[2].

Les effets de la seconde, en revanche, sont bienfaisans et profitent aussi bien à la nation à laquelle appartiennent les missionnaires qu’à l’humanité civilisée. C’est ainsi que les Frères Moraves, par leur dévouement vraiment apostolique et par l’exemple du travail manuel, ont fait aimer l’Allemagne chez les nègres des Antilles, comme chez les Esquimaux du Labrador. Les Pères de Picpus ont, de même, fait aimer la France aux Iles Marquises et aux Iles Sandwich ; les frères de Ploërmel en ont fait autant chez les nègres du Sénégal ; les Pères du Saint-Esprit, au Congo et au Soudan, et les Pères Blancs, en Algérie et dans l’Afrique équatoriale.

Mais deux sociétés missionnaires, entre toutes, nous semblent avoir su bien concilier leur devoir d’apôtres avec leurs obligations patriotiques : ce sont les agens de la Mission évangélique de Paris, d’une part, et, de l’autre, les prêtres de la Mission et les Filles de la Charité. Parmi les premiers, Charles Viénot, mort en 1903, mérite une mention spéciale pour avoir, par un labeur de trente-sept ans, fondé et dirigé les écoles françaises à Tahiti et à Moréa. Lui et ses collègues ont pu faire respecter le nom de Français comme synonyme de loyauté, même dans les pays qui échappaient à notre influence ; d’autres sont en train de faire la conquête pacifique des Malgaches. Quant aux dignes enfans de saint Vincent de Paul, partout où ils ont exercé leur ministère de charité, l’instruction et d’évangélisation, ils ont contribué au bon renom de la France et maintenu son prestige, sans se mêler aux affaires politiques. J’ai dit, dans cette Revue, comment, par les rédemptions d’esclaves et par la manière dont ils ont rempli

  1. Voyez l’affaire Pritchard, dans les Mémoires de Guizot, t. VII, p. 50.
  2. R. Allier, les Troubles en Chine et les Missions chrétiennes, Paris, 1901.