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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/907

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gens qui s’est fait un miroir des lieux où ils vivent, aussi bien que de leurs gestes et de leurs figures, tout leur passé de grandeur ou de misère. Me voici bien loin de la sérénité des petites villes anglaises, Stratford, Warwick, Chester, que j’ai visitées au passage. Leur activité s’épanouit à l’aise, comme par un jeu régulier d’habitudes, dans le milieu qu’une longue prospérité a préparé et orné, et qu’une sagesse conservatrice embellit encore avec reconnaissance, toute fière d’un héritage dont elle ne répudie rien et que jour à jour elle augmente. Autour de ces îlots bien aménagés, la nature développe ses paysages de grasses prairies, de rivières et de beaux arbres. La tour carrée d’un clocher ennoblit le décor et évoque les stalles de bois sculpté où le vicaire en surplis blanc lit chaque soir, avec des versets de la Bible, les prières anglicanes… Ici la vie fut manifestement moins heureuse. Rien n’attire ni ne retient. Nul édifice ne raconte l’histoire. Il n’y a pas d’architecture. Les temples sont des bâtisses hybrides, intermédiaires entre la Bourse et la Salle de Conférences. Nombreux et de dénominations diverses, baptistes, congrégationalistes, calvinistes, méthodistes, ils attestent le développement de la vie religieuse, tel que le comporte l’âge moderne, l’âge de la conscience sans amour, de l’indépendance sans union, de la pensée sans rêve. Les rues, les maisons, l’allure des gens, tout révèle que la vie fut morne et médiocre. Ni le sens du bien-être ni celui de la beauté ne s’est éveillé dans ce peuple qui se contente de peu, ne raffine pas ses goûts, reste insensible à la privation de luxe et même de confort. Mais cette indifférence respire une sorte d’idéalisme où je reconnais l’âme de notre Bretagne, et je ne me sens pas en pays étranger avec ces Gallois empressés, généreux. Ils ont nos attentions, notre cordialité. Dans je, ne sais plus quel petit hôtel, le patron m’invita avec un bon sourire à boire un verre de liqueur rose dont il me fit d’abord complaisamment admirer la transparence, le verre à la hauteur de l’œil. Puis il me dit qu’elle était préparée par sa femme et enfin porta ma santé en me disant : « Nous sommes un peu de la même famille, Français et Gallois : vos Bretons sont nos frères. » Ailleurs, j’entrai dans la boutique de mon hôte au moment du départ. Comme elle était fort bien pourvue de chocolats, il en assortit un choix : For the lady, me dit-il, « Pour Madame. » Ce sont des mœurs de chez nous.

À ces riens, non moins qu’au visage et aux manières, je