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possible du cabinet. Celui dont M. Doumer s’était fait le dénonciateur bien vite apaisé avait, à ses yeux, un intérêt moindre. La marine deviendra ce qu’elle pourra entre les mains de M. Pelletan : la Chambre a d’autres soucis, et elle l’a montré.

M. Combes, après avoir consulté la direction des vents parlementaires, s’est senti si rassuré qu’il ne s’est plus embarrassé du choix de ses argumens. Il y a des Chambres avec lesquelles les ministres peuvent tout se permettre. M. Combes n’a pas hésité à dire à celle-ci qu’elle était hors d’état d’élire une commission d’enquête : elle venait de se livrer à une discussion qui, ayant été très ardente, pouvait rendre son impartialité suspecte. On aurait cru qu’une Chambre ainsi traitée allait se soulever tout entière dans une protestation indignée. Il n’en a rien été : la Chambre a tout écouté, tout entendu, tout subi. « Nous ne pouvons pas, a déclaré M. Combes, accepter une enquête parlementaire, et je m’étonne d’avoir à dire pourquoi. Comment ! quand vous constatez vous-même l’état des esprits dans cette assemblée…, que pouvez-vous attendre dans ces conditions d’une enquête parlementaire ? Ne sentez-vous pas que l’élection des membres qui la composeraient se ferait sous l’empire de passions ? » Depuis quand suffit-il qu’une Chambre ait des passions, fussent-elles aussi généreuses et patriotiques qu’on voudra, pour qu’on ait le droit de la frapper de certaines déchéances morales et qu’elle ait le devoir de s’y résigner ? Jamais pareil langage n’avait encore été tenu à une assemblée parlementaire, non qu’il n’y ait pas eu, avant M. Combes, de ministre capable de le faire, mais parce qu’il n’y avait pas eu jusqu’ici d’assemblée capable de le supporter. Après tout, les Chambres ont les ministres qu’elles méritent : quand elles ne savent pas se faire respecter, il est naturel qu’on ne les respecte pas. M. Ribot a parlé d’abdication : le mot a laissé la Chambre inerte et engourdie. Le gouvernement, lui, n’a pas de passions. Il n’a pas d’intérêt personnel dans les questions qui s’agitent. M. Pelletan ne tient pas à son portefeuille et il est prêt à le déposer sur l’autel de la Patrie. M. Combes a résisté à tout entraînement, et il a toujours fait exactement ce qu’il voulait faire, ni plus ni moins. Pour tous ces motifs, la Chambre a été dépossédée de son droit d’enquête : elle les a elle-même trouvés convaincans. Après cet effort d’humilité ultra-évangélique, elle s’est mise en vacances, et n’avait assurément rien de mieux à faire. L’air de la province calmera peut-être ses nerfs, apaisera peut-être ses passions surexcitées. Pendant ce temps, M. Combes gouvernera la France et M. Pelletan administrera la marine, avec le sang-froid, la méthode et