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l’esprit d’ordre qu’on leur connaît. C’est ainsi que s’en vont les gouvernemens parlementaires : nous n’en avons plus que l’ombre illusoire.

Tout fier d’avoir échappé à tant d’assauts dont quelques-uns avaient paru redoutables, d’avoir vaincu M. Millerand et convaincu M. Doumer, d’avoir enfin battu tous ses adversaires, le gouvernement a cherché une occasion de montrer ces qualités de modération qu’il s’était attribuées : il n’a pas tardé à trouver celle qu’il lui fallait. Le moment est venu, a dit M. le garde des Sceaux, de faire disparaître les emblèmes religieux de tous les prétoires, tribunaux civils, tribunaux de commerce et justices de paix. Il restait une leçon de tolérance à donner au pays : c’était celle-là ! La pensée en est venue à M. Vallé le vendredi saint, et il l’a communiquée à la presse le jour même. Le lendemain, on a connu la circulaire qu’il avait adressée à tous les procureurs généraux pour les inviter à procéder ou à faire procéder à l’opération du décrochage des crucifix. Les fêtes de Pâques ont semblé un moment particulièrement opportun pour réaliser l’ « opération susvisée, » comme dit le document officiel, parce que ce sont jours de vacances. S’il en est ainsi, pourquoi n’avoir pas attendu les grandes vacances ? Leur longueur et les distractions qui les remplissent auraient été mieux appropriées à l’exécution d’une mesure sur laquelle il aurait mieux valu ne pas appeler trop d’attention, à supposer qu’on fût légalement obligé d’y procéder. Mais y était-on obligé ? Oui, si l’on en croit la circulaire ministérielle, d’après laquelle la volonté du parlement se serait manifestée pendant la dernière discussion du budget ; non, si l’on se reporte à cette discussion elle-même. Le gouvernement n’était nullement tenu de faire ce qu’il vient de faire : s’il l’a fait, c’est pour obéir à ses passions ou à celles de ses amis.

Nous nous sommes reporté à la discussion du budget de 1904. Un député socialiste, M. Dejeante, a demandé une diminution de 100 francs sur un crédit quelconque du ministère de la Justice, en donnant au vote cette signification que les emblèmes religieux seraient supprimés dans les prétoires. Comme l’entretien de ces emblèmes ne coûtait rien du tout, et qu’on ne saurait les enlever sans mettre des ouvriers en œuvre, c’est plutôt une augmentation : qu’une diminution de crédit qu’il aurait fallu proposer. M. Dejeante ne s’est pas embarrassé de cela : il sait que, dans les votes parlementaires, les intentions sont tout. Un autre gouvernement que celui-ci se serait opposé à l’amendement. Il aurait rappelé que, dans certaines formes de serment, devant la Cour d’assises par exemple, la présence de Dieu est formellement et textuellement invoquée. Il aurait dit surtout qu’il y a des