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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/128

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toujours été le sien : « Quelque peu que je sois, Monsieur, je sens bien que je vous manque, et j’en suis bien fâchée. Je vous assure que vous n’avez point plus d’envie de m’ouvrir votre cœur que je n’en ai de vous entendre. Nous ne pouvons plus avoir du plaisir. Il faut se consoler de la faible consolation de se plaindre avec ceux qui pensent et qui sentent comme vous. » Et dans une autre lettre : « Adieu, Monsieur le Maréchal ; consolez-vous par le bonheur de celui que vous regrettez. » C’est Louis XIV qu’elle veut dire, dont le bonheur éternel ne lui inspire aucun doute[1]. Le nom de Villeroy revient fréquemment dans les lettres de Mme de Maintenon à Mme de Caylus. Elle ne s’effarouche point de l’intimité qui continuait de régner entre sa nièce et celui pour qui elle s’était autrefois compromise. Elle trouve tout naturel que Villeroy ait sollicité le Régent en faveur de Mme de Caylus, sans même en avoir averti cette dernière, et cela lui rappelle le procédé dont il usa vis-à-vis d’elle-même, lorsque, « dans sa jeunesse, il sollicita en sa faveur une pension de la Reine mère sans l’avoir avertie... » Elle trouve qu’il pourrait faire davantage encore, prêter plus souvent à Mme de Caylus son carrosse ou ses gens. Il pourrait même la nourrir. Elle ne verrait aucun inconvénient à ce que sa nièce vienne s’installer à Versailles, à l’hôtel Villeroy, d’où une litière du maréchal la conduirait facilement à Saint-Cyr. Elle lui recommande seulement de ne pas coucher dans la chambre où est morte, quelques années auparavant, la duchesse.

La marquise d’Dangeau est une de ces femmes, en beaucoup plus grand nombre qu’on ne croit au XVIIe et au XVIIIe siècle, qui vécurent dans le monde et à la Cour sans que l’ombre d’une médisance ait jamais effleuré leur réputation. C’est une tendance qu’on a toujours, qu’il s’agisse du passé ou du présent, de juger d’un temps et d’une société par les femmes qui font parler d’elles et non point par celles dont on ne parle pas. La marquise de Dangeau fût demeurée au nombre des femmes dont on ne parlerait point si la situation occupée par son mari à la Cour et surtout le précieux Journal qu’il a laissé n’avaient donné à son nom une notoriété d’une nature particulière. Dangeau avait quarante-huit ans lorsqu’il l’épousa, voulant faire oublier, par l’éclat de cette alliance, celle qu’il avait conclue seize ans auparavant lorsqu’il

  1. Philobiblon Society, t. XIII, p. 60 et 62. Ce recueil contient 56 lettres de Mme de Maintenon au maréchal de Villeroy, publiées par lady Louise Knigthy.