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est restée pacifique, mais elle retentit du bruit des armes ; dans les préoccupations des gouvernemens, la guerre a été réintroduite comme une réalité toujours vivante, toujours menaçante, et qu’il ne suffit pas de nier pour la supprimer ; on continue à vouloir la paix, mais on la veut maintenant, suivant l’adage antique, en préparant la guerre : et c’est une première conséquence du conflit russo-japonais.

Si l’attitude des gouvernemens s’est trouvée modifiée, n’est-il pas plus vrai encore de dire qu’il y a quelque chose de nouveau dans la mentalité des peuples ? Le canon, — cette réalité, — a dissipé les fantômes, fait évanouir les rêves, et rendu ses droits au bon sens. Les théoriciens et les porte-parole du « socialisme, » de « l’internationalisme » et du « pacifisme » ont dépassé la mesure et manqué le but qu’ils poursuivaient ; la générosité spécieuse de leurs doctrines et les portions de vérité qu’elles contiennent ne suffisent plus, en présence de la guerre, à dissimuler leurs conséquences périlleuses pour l’indépendance et l’existence même des nations. De tout ce qui a été dit ou écrit, en France surtout, par les chefs des partis révolutionnaires, à propos de la guerre russo-japonaise, il ressort qu’avant d’apporter leur concours à la défense commune, les hommes de ces partis réclameraient le droit d’entrer en discussion avec l’Etat, de juger, dans la souveraineté de leur conscience individuelle, de la légitimité de la guerre et d’apprécier, sans appel, à qui appartient la qualité d’agresseur. Entre cette conception individualiste des droits de la conscience de chaque membre d’une collectivité nationale et la conception sociale de ce même droit, l’antinomie est apparue radicale, irréductible ; et c’est là, sans doute, un autre service que la guerre actuelle nous aura rendu.

L’évolution de l’opinion publique dans les divers pays du monde civilisé, en ces dernières semaines, a montré encore comment, sous l’influence des événemens d’Extrême-Orient, se reforme peu à peu, dans la conscience des peuples, une notion qui, en Europe, commençait à s’affaiblir et à s’effacer, celle d’un ennemi extérieur menaçant de détruire leur civilisation et leur vie même. Peu à peu, à mesure que les événemens se déroulent, que le conflit prend de l’ampleur et menace de s’étendre à la Chine, les foules, quelles qu’aient été leurs préférences au premier moment, s’inquiètent des conséquences futures de