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l’Espagne, ils n’ont pas abouti. Des négociations plus heureuses ont été poursuivies avec l’Angleterre, et nous en connaissons aujourd’hui le résultat. Il peut se résumer en un mot : l’Angleterre, elle aussi, à son tour, se désintéresse du Maroc, et se borne à nous recommander les intérêts de l’Espagne, Elle fait deux réserves auxquelles nous avons consenti : la première est que, sur une étendue assez considérable des côtes marocaines, à gauche et à droite du détroit de Gibraltar, il ne sera pas fait de fortifications ; la seconde que le régime douanier établi par les traités existans sera maintenu pendant trente années. Tels sont les engagemens que l’Angleterre prend envers nous au Maroc : nous verrons dans un moment ceux que nous prenons envers elle en Égypte. Mais, disons-le tout de suite, il s’en faut de beaucoup que cette question du Maroc ne laisse aucune appréhension dans notre esprit. Elle est très loin d’être réglée. Puisse-t-elle l’être seulement par la diplomatie ! C’est notre désir le plus vif, et c’est l’espérance de notre gouvernement ; mais nous avons des doutes à cet égard.

Il est si facile de commettre des fautes au Maroc que ce serait merveille si nous n’en commettions aucune : or chacune peut entraîner des conséquences très longues et très lourdes. Le pays, on le sait, est le contraire d’un pays organisé et centralisé ; l’anarchie seule y règne ; on n’y perçoit l’impôt qu’à coups de fusil. La population est fanatique et guerrière, mal armée heureusement et divisée ; mais, en ce qui concerne ces divisions, qui sait si elles ne s’effaceront pas devant l’étranger chrétien ? Nous ne pouvons donner ici que des indications rapides et sommaires : toutefois il est peu vraisemblable que la question du Maroc, telle qu’elle est posée, soit résolue par des procédés purement pacifiques, et les autres risquent de nous coûter cher et de nous conduire loin. Nous lisons le passage suivant dans la dépêche que lord Lansdowne a écrite à sir Ed. Monson, et qui sert en quelque sorte de préface au Livre bleu anglais publié sur nos arrangemens : « La France est prête à faire tous les sacrifices et à encourir toutes les responsabilités qu’implique l’objet de mettre fin à l’état d’anarchie existant sur les frontières d’Algérie. Le gouvernement de Sa Majesté n’est pas préparé à assumer de telles responsabilités ou à faire de tels sacrifices, et, en conséquence, il. a volontiers admis que, si une puissance européenne quelconque doit avoir une influence prépondérante au Maroc, cette puissance est la France. « Peut-être y a-t-il là quelque ironie. Peut-être lord Lansdowne a-t-il cédé au penchant assez habituel aux ministres anglais de déprécier ce à quoi ils renoncent. Lord Salisbury en a donné autrefois des exemples mémorables.