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elle ne paraît telle que lorsque les préjugés et les préventions ont cessé de l’obscurcir.


La grève qui se poursuit en ce moment à Marseille contient une leçon digne de ne pas passer inaperçue : si elle est bien comprise, les souffrances infligées au monde du travail n’auront pas été tout à fait perdues. Les inscrits maritimes se sont mis en grève, pourquoi ? Parce qu’ils ont voulu que, sur les navires de commerce, le commandement dépendît d’eux. Se faisant les juges de leurs officiers, ils ont prononcé une sorte d’ostracisme contre celui-ci ou celui-là. C’est une prétention analogue à celle des ouvriers qui excluent de l’usine tel contre-maître, ou tel ingénieur, quand ce n’est pas le directeur lui-même : elle est ici plus grave, car sur un navire, la discipline doit être absolue. Qu’ont fait les officiers ? Ils se sont mis en grève à leur tour, et ont déclaré qu’ils ne la cesseraient que lorsque leur autorité sur leurs hommes aurait été pleinement reconnue et consacrée. Les inscrits ne s’attendaient pas à cette réplique ; ils croyaient avoir seuls des syndicats ; ils estimaient pouvoir seuls dicter des conditions. On leur montre le contraire, et ils en restent très déconcertés. Le jour où on appliquera aux syndicats et aux grèves le principe : similia similibus obs(ant, bien des choses changeront dans le monde du travail. On ne sait pas encore comment se terminera la grève de Marseille ; nous souhaitons que ce soit le plus tôt possible, car elle apporte un trouble, des souffrances et des ruines nouvelles dans une ville qui a été déjà bien éprouvée ; mais elle apporte aussi un élément nouveau dans les conflits de ce genre. Et l’expérience vaut la peine d’être poursuivie jusqu’au bout.


FRANCIS CHARMES


Le Directeur-Gérant,

F. BRUNETIERE.