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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/257

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en actes, remuans plus qu’audacieux, qui excitent, puis se dérobent au moment de marcher en avant, recherchent l’importance et redoutent la responsabilité. On comprend que Bismarck ait considéré sans émoi l’arrivée aux affaires du brouillon loquace et parfois bouffon[1] du Trias ; il savait qu’avec lui l’Autriche serait pacifique et qu’il n’avait à en redouter aucune revanche. Chaque fois que, par la pensée, je mets à côté du visage mou de Beust la tête robuste de Bismarck, je ne puis m’empêcher de songer à un chat colossal qui tiendrait dans ses pattes une souris dont il s’amuse.

Comme ministre autrichien il voulut débuter par un coup de maître ; il offrit sa protection à la Russie : il était disposé à l’affranchir de l’article humiliant du traité de Paris, limitatif de

  1. Discours de Beust, prononcé à un Congrès télégraphique, et autographié par lui : « Comment vous remercier, Messieurs, du bienveillant accueil que vous m’avez fait ? Je crois que le mieux est de passer à un autre sujet. C’est du haut du Semmering que je vous parle aujourd’hui, donc je me place à un point de vue auquel on ne reprochera pas de manquer d’élévation. Vous avez eu la bonté de nous suivre dans ce beau pays de Styrie, permettez que je vous en fasse les honneurs. Nous y sommes arrivés par monts et par vaux ; ce sont ceux-ci qui en grandissant font une des principales richesses du pays. Cependant, Messieurs, vous savez ou vous ne savez pas que la Styrie n’excelle pas seulement par son bétail, mais plus encore par ses magnifiques poulets, dignes de figurer à côté des poulardes du Mans, à part les truffes pour lesquelles on professe un souverain mépris parce qu’on n’en a pas. Mais ici je m’arrête, la Styrie est fort indépendante ; elle passe même pour être quelque peu démocrate ; elle déteste les courtisans, donc il ne faut pas lui parler de basse-cour. Je poursuis : Dans ce beau pays, vous ne voyez pas seulement des côtes verdoyantes, vous y trouvez encore de riches mines de fer entourées des plus hautes montagnes, couvertes la plupart de temps en temps de glaces et de neiges, ce qui vous explique pourquoi les Styriens, dans les questions constitutionnelles et parlementaires sont tellement ferrés à glace. Car, et voici une chose curieuse et digne de remarque, les Styriens tiennent énormément à leurs mines, mais à Vienne, au « Reichsrath », nous les avons vus, tout en restant mineurs, atteindre la majorité. Les Styriens sont de plus de fameux chasseurs ; ils vous abattent un chamois avec la même facilité avec laquelle moi, votre très humble serviteur, je manque un lièvre. Ce n’est pas malin, j’ai la vue basse et ils ont de si belles vues. Maintenant, je vous vois venir. Messieurs, vous me direz : C’est très bien tout ce que vous racontez de la Styrie et des Styriens, mais que ne parlez-vous des Styriennes ? Ah ! les Styriennes, elles ne sont pas piquées des vers ; oh non ! mais elles sont farouches, et quoique la Styrienne soit, comme vous le savez, une danse fort gracieuse, si nous voulions nous y mettre, cela pourrait bien finir par un fameux galop. Mais c’est assez bavarder. Si je continue, nous allons manquer le train, et puisque j’y suis, en train, il faut pourtant que je finisse par un toast. Mon toast. Messieurs, ne peut être que pour ce que vous représentez. Mon toast est pour le télégraphe international et voici comment je le formule : à la seule liaison qui n’est pas dangereuse, au seul lien qui unit sans gêner, à la seule union, qui, sans être indissoluble, est incapable de discontinuer, — c’est peut-être parce qu’elle est quelquefois interrompue, — mais enfin c’est égal. Vive l’union télégraphique ! vive le télégraphe international ! »