Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

France et pour lui laisser prendre notre place. Par le Luxembourg on se rapproche de la Belgique et du Rhin ; on ouvre sur l’Allemagne une porte qu’il faut tenir fermée, quelque étroite qu’elle soit ; entre la France et nous, il n’y a pas de compte à régler ; si l’on ouvrait ce compte, où s’arrêterait-il ? Le Luxembourg n’en serait que le premier article ; les autres viendraient successivement. »

Dans un tel état de l’esprit allemand, dire oui, c’était contenter l’Empereur mais mécontenter l’Allemagne ; dire non, c’était plaire à l’opinion allemande, mais se brouiller avec l’Empereur et s’exposer à une guerre prématurée. Entre ces deux alternatives, toute issue paraissait fermée : Bismarck sut s’en ouvrir une. Redevenu avec Benedetti amical, confiant, enjôleur, il lui dit : « Je me moque du Luxembourg ; si cela doit terminer tous les comptes entre nous et entraîner l’approbation de tout ce que nous avons fait, je vous dirais bien volontiers : « Prenez-le ; arrangez-vous avec le roi de Hollande ; nous ne nous y opposerons pas. » Notre droit de garnison est, je l’avoue, très contestable, mais les militaires ne veulent pas entendre parler de cette évacuation et le Roi y répugne. Si vous voulez l’obtenir, il n’y a qu’une marche courte et sûre : provoquez dans le Duché des manifestations en votre faveur ; traitez vivement, en secret, avec le roi de Hollande ; placez-moi en présence d’un fait accompli ; j’exprimerai mon déplaisir, je protesterai, mais je représenterai qu’on ne peut faire une guerre pour une aussi petite question, j’évacuerai la forteresse, je perdrai un peu de ma popularité, et je m’en tirerai. Mais si vous me demandez un acquiescement préalable, si vous ou le roi de Hollande m’interrogez officiellement, je serai obligé de répondre par un refus. » Bismarck ne tint pas ce langage à Benedetti seul, mais encore à ceux qu’il supposait devoir le répéter à l’Empereur. En février 1867, ayant reçu la visite de Türr, il lui dit que si l’Empereur voulait le Luxembourg, il n’avait qu’à favoriser la création ou le développement d’un parti demandant l’annexion à la France ; il n’examinerait pas même si c’était la majorité de la population qui optait pour l’annexion, il accepterait le fait accompli.

Le plan de ne pas traiter à la fois de l’évacuation et de la cession et de ne réclamer la cession qu’au roi de Hollande était très sensé, car ce n’est pas du roi de Prusse qu’on pouvait recevoir