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qui s’applique journellement à resserrer ses rapports avec la France, ait prémédité de conserver contre toute espèce de droit, en dehors de ses frontières et si près des nôtres, une garnison inutile au point de vue de sa défense naturelle, et dont le caractère éminemment offensif à notre égard ne pouvait manquer de fixer notre sollicitude la plus attentive. En acceptant avec bonne grâce le fait d’une réunion du Grand-Duché à la France, le cabinet de Berlin croirait faire acte d’habile politique et arriverait à nous ménager une satisfaction matérielle et morale, qui, en donnant aux relations des deux pays un caractère plus marqué d’intimité, offrirait de nouveaux gages à la paix de l’Europe (27 février 1867). »

Il semblait que Moustier hésitât à s’engager dans le sentier scabreux qu’on lui montrait. Avant de transformer ces instructions en ordres officiels, il chargea Benedetti de s’assurer une dernière fois des bonnes dispositions de Bismarck.

Un nouvel obstacle était survenu à la facilité de la négociation. Il n’était ni dans le Roi ni dans son ministre, mais dans la présence d’un Parlement animé de susceptibilités patriotiques très en éveil. Néanmoins Bismarck ne retira aucun de ses encouragemens, insistant seulement plus que jamais sur sa distinction : « Si on m’interroge, je m’opposerai ; si on me met en présence d’un fait accompli, j’acquiescerai en grognant. — Puis-je soumettre ces assurances à mon gouvernement ? demanda avec quelque solennité Benedetti en lui lisant les termes de sa dépêche. — Vous le pouvez, » répondit Bismarck. Et, puisqu’on était en confidences de bonne amitié, il en profita pour lui communiquer une nouvelle peu agréable : « Vous m’avez quelquefois interrogé sur un bruit qui a couru les chancelleries de traités militaires conclus entre les États du Sud et nous. Et il paraît même que votre agent à Francfort, qui se prétend bien informé, quoiqu’il ne le soit pas habituellement, en a fait quelque tapage. Eh bien ! oui, j’ai conclu ces traités. Ce sont des traités de garantie, je les ai signés à la suite de la demande que vous m’avez faite, quelques jours avant leur date, de la cession de Mayence et des territoires bavarois et hessois sur la rive gauche du Rhin. » Benedetti, mandé à Paris, vint confirmer ses dépêches par des explications orales. Moustier ne s’arrêta pas à l’inquiétante certitude de l’existence de ces traités militaires ; il ne retint que la bonne volonté envers le Luxembourg, et il renvoya Benedetti à son poste.