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à l’Empereur avec une lettre lui apportant son consentement et le priant de faire les démarches nécessaires à Berlin. Il n’avait donc qu’à attendre le résultat des démarches de l’Empereur, mais de nouveau saisi de crainte, le jour même de l’envoi de son message, il mande le ministre de Prusse, Perponcher (26 mars), et lui dit : « Je vous ai prié de venir chez moi parce que je tenais à vous prévenir que l’empereur des Français m’a demandé de lui céder le Luxembourg ; mais je ne veux rien faire à l’insu du Roi, et il m’a semblé que je ne pouvais mieux agir qu’en vous en informant franchement. J’ai écrit à l’Empereur que je m’en remettais à sa loyauté pour qu’il s’entendît à ce sujet avec votre souverain. Je vous prie d’en rendre compte au Roi, qui, je l’espère, saura apprécier la franchise avec laquelle j’agis. »

Le ministre des Affaires étrangères, Zuylen, aggrave encore la confidence du Roi ; il offre ses bons offices à Bismarck dans le différend qu’il voit surgir entre lui et la France. Grand émoi à Paris et à Berlin ! Le plan est éventé : aux pourparlers mystérieux succède cette négociation officielle dont Bismarck ne voulait pas entendre parler. Il est délié de ses engagemens ; il pourrait s’opposer ouvertement à la cession puisque ce n’est pas à lui qu’est imputable l’indiscrétion commise ; il ne le fait pas. Au contraire, il répond à son ambassadeur et à Zuylen qu’il n’a pas, quant à présent, à s’expliquer ni à faire usage des bons offices qu’on lui offrait « parce qu’aucune négociation au sujet du sort futur du Grand-Duché n’a lieu entre la Prusse et la France, et, selon la nature des choses, ne saurait avoir lieu qu’entre Sa Majesté le roi des Pays-Bas, grand-duc de Luxembourg et Sa Majesté l’empereur des Français[1]. » C’était dire aussi clairement que le permettait la situation : « Ne vous arrêtez donc pas. Signez ! » Tel fut aussi le conseil de Benedetti qui avait recueilli les impressions personnelles de Bismarck : « Signez ! » (29 mars.) Bylandt transmettait la même instruction : « Hâtez-vous, signez ! » De Paris la dame intéressée écrit : « Hâtez-vous ! signez ! » Le 30 mars le Roi se décide. Deux traités sont préparés, l’un qui opère la cession, l’autre portant garantie de la France contre la Prusse. On se croyait arrivé. Mais il était écrit que la dernière aberration de la politique des compensations ne réussirait pas plus que les précédentes.

  1. Servals, p. 95.