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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/275

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sa domination en Allemagne et organiser l’armée fédérale. Mais ils ont manqué de résolution, au moment où il fallait en avoir[1]. » Benedetti est resté toujours convaincu, et il me l’a maintes fois répété, que Bismarck avait été parfaitement loyal dans cette question du Luxembourg et que notre échec est dû, non à sa duplicité, mais à la lenteur indolente de Moustier à engager l’affaire et à l’indiscrétion pusillanime du roi de Hollande.

Des deux côtés néanmoins, on opérait des armemens purement défensifs : des deux côtés, en effet, nul ne songeait à attaquer. Le roi Guillaume et Bismarck étaient aussi pacifiques que l’Empereur et Moustier.

L’Empereur, indépendamment de sa propre santé, avait des raisons intimes de ne pas vouloir la guerre. L’état de son fils l’inquiétait. Depuis quelque temps, à la messe des Tuileries, on avait remarqué que l’enfant boitait beaucoup[2], qu’il était bien pâle : puis, on ne l’avait plus revu ; pris par la fièvre, il avait été obligé de se mettre au lit où il resta quelques semaines. « L’Empereur, écrivait Vaillant dans son Carnet, est triste comme un bonnet de nuit[3]. »

Guillaume n’était pas plus belliqueux. Son lecteur Schneider, ému des bruits de guerre qui circulaient, lui ayant demandé s’il l’emmènerait dans le cas où il partirait en campagne, le Roi, avec un regard grave et pénétrant, lui dit : « Je n’ai encore prononcé le mot de guerre devant personne ; je n’ai pas même agité la question dans ma pensée ; Bismarck et Roon ne m’ont pas jusqu’ici parlé de la possibilité d’une campagne ; je n’ai même pas demandé à Roon s’il a terminé la réorganisation des moyens de transport et complété les approvisionnemens à la suite de la dernière guerre[4]. »

Bismarck n’avait donc pas à lutter contre les dispositions de son souverain. Avec les diplomates, qui épiaient ses moindres paroles, il ne sortait pas de la plus stricte circonspection et, à la clôture du Reichstag constituant (17 avril), il ne fit allusion à l’affaire du Luxembourg et à l’émotion produite par l’interpellation Bennigsen que pour affirmer ses sentimens pacifiques[5]

  1. Du 13 avril 1867.
  2. Carnet de Vaillant des 24 février, 3 mars, 28 mars, 3 avril, 17 avril.
  3. 18 avril.
  4. Schneider, t. IV, 20 avril, p. 325.
  5. « Le sentiment manifesté au Reichstag a trouvé un puissant écho dans toutes les contrées de la patrie allemande. Mais l’Allemagne entière n’est pas moins unanime, dans ses gouvernemens comme dans son peuple, à sentir que la puissance nationale recouvrée doit s’affirmer avant tout par les bienfaits de la paix. »