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qui se déchaîna naguère sur le grand port français, spectacle inoubliable, hélas ! à qui l’a vu une fois : les essais de grève générale, les violences dans la rue, les pillages en plein jour, les chants révolutionnaires, hurlés parmi les actes de sauvagerie, nulle protection du travail, toute vie économique arrêtée pendant des mois !


IV

Nothing succeeds like success, disent les Américains avec leur drôlerie pénétrante : le succès engendre le succès, les succès s’appellent les uns les autres. Gênes en est présentement à cette heure des victoires faciles, à cette heure où tous les obstacles s’aplanissent d’eux-mêmes, où les progrès semblent venir spontanément. Cette heure-là, Marseille l’a connue, mais ensuite est venue celle de la lutte, lutte contre les concurrences étrangères et aussi contre les difficultés intérieures, car on l’a souvent constaté, les hostilités ouvrières augmentent toujours à mesure que la prospérité décroît.

Sans parler de son admirable position géographique, Marseille, à la différence de Gênes, est un centre industriel de premier ordre. Les produits et les besoins de ses industries sont immenses ; les statistiques nous disent que les trois quarts du mouvement de son port ont leur point de départ ou d’arrivée dans la ville elle-même, dans les usines ou la consommation locale ; et, s’il est vrai qu’à Sampierdarena, dans le faubourg de Gênes, on voit s’élever maintenant des fabriques aux murs peints en clair et noircis en même temps de fumée, des rangées sans fin de maisons d’ouvriers, lépreuses et déguenillées, le temps n’est pas proche où Gênes fera figure dans le monde industriel comme elle fait maintenant dans le monde commercial. Ajoutez autre chose encore, en faveur de Marseille : les progrès de Gênes seront embarrassés dans l’avenir par une difficulté d’ordre technique, l’insuffisance des voies d’accès et du matériel roulant. La grande question du port de Gênes, a-t-on dit souvent, est une question de chemins de fer : Gênes manque de wagons pour expédier ses marchandises, et manque de lignes ferrées, — elle n’en a qu’une, à quatre voies il est vrai, mais d’exploitation difficile, — pour expédier ses wagons vers le nord, vers Novi, et de Novi vers Turin et Milan. On travaille à remédier au mal,