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mais il faudra du temps pour y arriver ; or, en attendant, le Simplon va s’ouvrir, et Gênes, ne pouvant satisfaire actuellement à une augmentation brusque et considérable de trafic, ne sera d’abord en mesure d’en profiter que pour partie : de là un délai, délai de grâce, dont Marseille pourra et devra profiter, pour fortifier et développer ses positions dans le commerce international.

Marseille a donc, croyons-nous, dans ses industries propres, auxquelles on peut ajouter le trafic franco-algérien, monopole du pavillon français, une solide base d’opérations dans la lutte contre ses rivaux ; Marseille peut lutter, doit lutter énergiquement pour se relever et reprendre son rang dans le monde commercial maritime, car sa prospérité importe à la prospérité nationale. La lutte est d’autant plus nécessaire que, si Gênes est le grand concurrent méditerranéen de Marseille, Gênes et Marseille ont maintenant d’autres rivaux qui leur sont communs : ce sont les ports du Nord ; c’est Rotterdam surtout, dont la zone de pénétration s’étend jusqu’en Suisse et dans l’Est français, grâce aux progrès réalisés par la navigation intérieure en Allemagne, grâce à l’aménagement du Rhin et à la merveilleuse organisation de cet immense entrepôt qu’est Mannheim. Une tonne de blé ne coûte guère aujourd’hui, de Rotterdam à Mannheim, et de Mannheim à Zurich, que de 18 à 20 francs selon la saison ; de Gênes à Zurich, elle coûte plus de 23 francs. Le jour où, le port de Strasbourg étant aménagé, la tête méridionale de la navigation du Rhin se trouvera reportée de Mannheim à Strasbourg, le danger de concurrence sera encore accru, notamment pour la France et pour Marseille.

Mais comment lutter ? Marseille demande deux armes, le port franc et le canal de jonction du Rhône à Marseille. Personne ne niera que l’une et l’autre ne soient utiles : mais suffiront- elles ? Suffira-t-il, pour rendre à Marseille sa prospérité d’antan, de joindre son port au Rhône par un canal de grande navigation, sans savoir si les améliorations faites et à faire au cours du Rhône pourront permettre un mouvement important de navigation, et quitte à taxer de droits supplémentaires tout le fret arrivant à Marseille, le fret qui profitera comme celui qui ne profitera pas du nouveau canal ? D’autre part, suffira-t-il de créer une « zone franche » dans le port de Marseille pour voir se réaliser ce but essentiel, le développement de nos exportations, alors que notre politique reste énergiquement protectrice, et nos