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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/443

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oreilles tendues guettent le bruit de tonnerre lointain qui s’élève du jardin envahi.

Les six commissaires avaient percé la cohue et couru jusqu’au perron du château, où ils arrivèrent juste au moment où la berline royale s’y arrêtait. C’était l’instant critique : une meute humaine, les bras levés, réclamait, pour les massacrer, les trois gardes du corps, toujours assis sur le siège ; les baïonnettes, les sabres nus, les piques, les poings fermés se dressaient vers eux. « A mort, les gardes, à mort ! » Sur le large perron, haut de trois marches[1], qu’il fallait nécessairement traverser pour arriver à l’abri de la porte centrale du pavillon de l’Horloge, la foule se rue, furieuse, désordonnée ; la garde nationale est débordée ; ses alignemens rompus, roulés, noyés. Mathieu Dumas s’évertue à rétablir l’ordre, il perd son chapeau, on arrache son ceinturon, le fourreau de son épée, on déchire ses vêtemens. A la violence de la cohue, il semble que tout cet océan de peuple, que la berline a traversé depuis Varennes, reflue et déferle contre le château : un des gardes du corps, le premier, chancelle et tombe, — c’est Moustiers ; — il disparaît dans la tourmente, on le tire, on l’entraîne ; il est saisi, blessé, poussé enfin, sanglant, sous le vestibule, où un heyduque de la Reine, nommé Bercq, le recueille[2]. Le second garde, Malden, est plus heureux ; il parvient, sous les coups, à gagner le château sans blessure. Lafayette a rallié quelques gardes ; une haie se forme, les députés se font jour ; à leur aspect, il y a une accalmie ; on emporte à son tour le troisième garde qui se débat et pousse des cris de fureur[3]. Et, tout à coup, un grand silence : la portière de la berline s’est ouverte ; le Roi paraît, il sort posément, traverse le perron, nul ne dit mot. La Reine, maintenant, émerge de l’étroite portière, on murmure. M. de Noailles s’empresse, l’escorte ; les autres députés l’entourent ; il y a quelques cris, vite réprimés ; maintenant, c’est le Dauphin et sa sœur, qu’on applaudit. — « Voilà l’espérance, le soutien des Français ! » puis Madame Elisabeth et Mme de Tourzel, que Barnave et La Tour-Maubourg conduisent. La grille du péristyle retombe[4]. Il est sept heures du soir[5].

  1. Mémoires de Weber.
  2. Précis de Moustiers.
  3. Mémoires de Weber.
  4. Nouvelle Revue du 15 mai 1903, Louis XVI à Varennes.
  5. « Déjà la grille était fermée, je suis très froissé avant de pouvoir entrer. Un garde me prend au collet et allait me donner une bourrade, ne me connaissant pas, lorsqu’il est arrêté tout à coup ; on décline mon nom, il me fait mille excuses. » Mémoires de Pétion.