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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/445

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reprendre, attendu qu’il ne les touchera pas. » — « Oh ! dit-elle avec humeur, j’en trouverai de moins délicats que vous[1]. »

Le Roi est entré dans son cabinet et a écrit quelques lettres, qu’en prisonnier déjà docile, il charge son valet de chambre de communiquer au général avant de les faire parvenir. Mais Lafayette s’emporte ; il estime « fort mauvais » qu’on lui attribue ce rôle d’espion ; et, comme il fait mine de se retirer, en demandant au Roi les ordres de Sa Majesté : — « Il me semble, dit Louis XVI en riant, que je suis plus à vos ordres que vous n’êtes. aux miens. » Les trois commissaires de l’Assemblée, consultés, renchérissent : c’est au commandant général qu’appartient la surveillance du château, il doit mettre en arrestation les trois gardes du corps, Mme Brunier et Mme Neuville. Quant à Mme de Tourzel, elle sera gardée à vue dans ses appartemens. Pétion, Barnave et La Tour-Maubourg prennent enfin congé, vers huit heures et demie du soir, et regagnent le Manège où l’interminable séance se poursuit toujours. On y est rassuré maintenant sur la réintégration des fugitifs dans leur « prison, » mais on attend le retour des commissaires ; ils entrent, de longs applaudissemens éclatent et Barnave monte à la tribune. Il parle, mais on l’entend à peine, il y a des protestations, du bruit ; il fait un geste :

— Vous m’excuserez peut-être, dit-il d’une voix brisée, quand vous ; saurez que, depuis que nous avons quitté l’Assemblée, nous n’avons pas pris un seul moment de repos...

Un silence religieux s’établit, et Barnave raconte le départ des commissaires, les incidens de la route, la rencontre des personnes royales, les détails du retour, les difficultés de la marche depuis. Meaux, l’obligation où était le cortège « de s’arrêter tous les quarts d’heure, en raison de l’affluence des citoyens sur la route, » enfin la rentrée aux Tuileries et la mise en surveillance de la famille du Roi.

L’épilogue fut sans solennité. Le lendemain 26, trois nouveaux

  1. Mémoires de Lafayette.
    Déclaration de Joseph-Guillaume Lescuyer, capitaine aide-major du 6e bataillon de la 3e division, demeurant faubourg Saint-Denis.
    « Le 25, il était commandé pour aller au-devant du Roi ; il était placé pendant la marche près de la portière du Roi ; — après avoir marché quelque temps, le Roi l’a appelé par son nom et lui a dit à haute voix : « Monsieur Lescuyer, voilà les clefs de ma voiture ; lorsque j’en serai descendu, vous la fermerez et m’en ferez remettre les clefs. « Lescuyer a répondu qu’il exécuterait cet ordre. Arrivé sur les Champs-Elysées, le Roi lui redemanda ces clefs, qui étaient au nombre de trois ; il les rendit sur-le-champ. » Archives nationales, DXXIX b, 37.