stoïcien de Vigny lui-même semble résigné en comparaison de l’âpre nihilisme de l’auteur de Midi !
Le fait est que dans la nouvelle école a persisté la souffrance de l’isolement. Isolement plus complet, car c’est la doctrine de l’art pour l’art qui met entre la foule et le poète la plus infranchissable barrière. Quand il exprime ses tristesses ou ses joies, ses colères, ses rancunes, les déceptions de son amour propre ou de son amour, le poète se rapproche de la foule, en exprimant des émotions qui lui sont communes avec elle. Mais, confiné dans son rêve d’art, il s’y enferme comme dans une prison, ou, si l’on veut, dans une tour d’ivoire : le sentiment de l’art, c’est bien là ce qui établit la ligne de démarcation entre les artistes et les autres. « Malheur aux productions de l’art dont toute la beauté n’est que pour les artistes ! Voilà une des plus grandes sottises qu’on ait pu dire ; elle est de d’Alembert. » Cette phrase des Goncourt exprime bien ce que l’art est devenu pour eux : une conversation entre initiés, un langage inintelligible au reste des hommes. Isolement plus douloureux, car c’est maintenant en présence du néant que le poète va se trouver. -Le poète romantique n’avait eu horreur que de la réalité actuelle et de l’humanité présente. Mais il s’était bercé d’harmonies délicieuses. Il avait conversé avec Dieu, soit qu’il adressât son hymne au Dieu personnel des religions, soit qu’il retrouvât Dieu répandu à tous les degrés dans la nature ; il s’était adressé à la Nature comme à une personne, et tantôt il l’avait remerciée d’être une consolatrice, tantôt il avait maudit son indifférence ou sa cruauté ; il avait ressuscité, pour en faire un cadre à sa fantaisie, le décor des époques disparues et s’était plu par mépris des hommes d’aujourd’hui à revivre parmi les hommes d’autrefois. Mais à la lumière des sciences, le parnassien voit se dissiper les apparences et toute réalité lui échapper. Les dieux auxquels les hommes ont successivement envoyé leur prière ne sont que les formes dont leur imagination a revêtu leur désir ou leur rêve du divin ; la nature. n’est qu’un système d’illusions, et c’est en nous que résident les couleurs dont nous croyons qu’elle nous enchante ; les civilisations mortes font comme un immense cimetière où nous pouvons déjà discerner la place marquée pour les éphémères que nous sommes. Mais quoi ! Ce moi lui-même, dernière réalité à laquelle nous voudrions nous rattacher, ce moi orgueilleux qui s’oppose lui seul au monde tout entier, n’est lui-même que le cadre irréel où se succèdent des sensations qui meurent à l’instant où nous en prenons conscience.
Telles sont quelques-unes des formes qu’a revêtues le sentiment