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disponibles pour le scrutin plusieurs centaines de grévistes. Aussi le premier tour de scrutin lui a-t-il donné l’avantage ; M. Flaissières est passé avec quatre ou cinq des siens. Le reste était en ballottage ; mais le premier succès semblait devoir déterminer le second, et le parti ministériel chantait déjà victoire. Marseille reconquis était pour lui la note dominante dans les élections. Les modérés, de leur côté, étaient bien près de croire tout perdu, et ils ne cherchaient pas à atténuer l’importance de l’événement : c’était la révolution triomphante dans une des plus grandes villes du Midi, la plus éprouvée par les agitations antérieures, la plus intéressante par les efforts en sens contraires qui y avaient été faits. On peut dire que toute la France avait les yeux sur Marseille. Le second tour de scrutin a eu lieu ; il a trompé les espérances des socialistes et dissipé les appréhensions des modérés. Marseille s’était ressaisie. Au bord de l’abîme, elle s’était rejetée brusquement en arrière. La municipalité restait en fonctions. Étant donnés les conditions et l’enjeu de la lutte, il était impossible de remporter un succès plus significatif.

Le parti ministériel cherchera vainement à déguiser le caractère général des scrutins du 1er et surtout du 8 mai ; loin de gagner du terrain, il en a perdu ; et si l’on songe qu’il est au pouvoir depuis six années consécutives, on reconnaîtra l’importance du fait. Nous ne disons pas que les républicains modérés aient remporté une grande victoire ; ce serait excessif ; mais enfin, le terrain que les ministériels ont perdu, ils l’ont gagné, et, dans la situation où ils se trouvaient, ils y ont eu du mérite. Jamais, en effet, ministère n’a pratiqué la candidature officielle plus effrontément que celui-ci. Tous les moyens lui sont bons ; tous les scrupules lui sont inconnus. La corruption, la pression, l’intimidation s’exercent avec une liberté d’allures qu’aucun des gouvernemens antérieurs n’aurait osé se permettre, non pas qu’ils se soient toujours abstenus de procédés peu recommandables, mais ils y mettaient quelque retenue et nous allions dire quelque pudeur, que le progrès de nos mœurs démocratiques a fait disparaître aujourd’hui. Les choses se passent ouvertement et cyniquement. Malgré tout cela, le parti ministériel n’a fait aucun progrès : il commence même à reculer. La France continue d’être divisée, comme elle l’a été aux dernières élections législatives, en deux camps à peu près égaux. On a fait le calcul, il y a deux ans, des voix obtenues par les ministériels d’une part et par les antiministériels de l’autre, — puisque les partis s’étaient à tort ou à raison classés ainsi, — et on a trouvé, non sans quelque étonnement, que