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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/478

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l’écart entre ces voix n’était pas supérieur à 200 000. Comment se fait-il que, la différence étant si faible entre les vainqueurs et les vaincus, les premiers aient une majorité aussi considérable à la Chambre ? Cela vient de l’inégale distribution des électeurs dans des circonscriptions dont les unes sont beaucoup plus populeuses que les autres et nomment néanmoins le même nombre de députés ; mais, si on prend les chiffres eux-mêmes pour déterminer la force proportionnelle des opinions en présence, on s’aperçoit que l’une ne l’emporte sur l’autre que d’une quantité presque négligeable. Un gouvernement qui aurait eu le moindre souci de son devoir en aurait tenu compte. Il ne se serait pas reconnu le droit de gouverner violemment ivec la moitié du pays contre l’autre, et d’abuser d’une majorité artificielle pour organiser une véritable oppression. Il aurait compris l’opportunité et la convenance d’une politique de tolérance et de concihation. Mais ce n’est pas ainsi qu’a raisonné le nôtre. Il s’est proposé pour but de réaliser coûte que coûte « l’unité morale » de la France, conception chimérique que d’autres gouvernemens, les plus puissans et les plus absolus de tous, n’ont pas mieux réussi que lui à réaliser en France, ni même ailleurs. Car il n’y a pas réussi, certes ! Après plusieurs années d’un gouvernement, dont nous venons de rappeler les principaux caractères, la situation du pays reste ce qu’elle était ; la force respective des partis n’est pas modifiée, et on peut dire que l’immense effort fait par le gouvernement a complètement avorté. C’est la leçon qui ressort avec évidence des scrutins du 1er et du 8 mai : il est malheureusement à craindre que le gouvernement y ferme les yeux.

Quant aux élections de Paris, elles ont quelque peu surpris tout le monde, et le ministère tout le premier. On croyait généralement que Paris voterait comme il l’avait fait en 1900, et le parti qui l’avait emporté alors espérait même que sa nouvelle victoire serait plus complète que l’ancienne. Le gouvernement, en effet, n’avait rien fait pour ramener Paris : on entendait dire partout que les esprits y étaient de plus en plus excités, que les affaires y allaient mal, que les souffrances y étaient grandes. Que s’est-il donc passé dans les esprits ? On ne peut faire à cet égard que des hypothèses. La plus plausible est que la population parisienne, ne voyant se réaliser aucune des espérances qu’elle avait conçues il y a quatre ans, a fait au moins partiellement retomber la responsabilité de sa déception sur les hommes qu’elle avait cru mettre au pouvoir en les mettant à l’Hôtel-de-Ville. La vérité est qu’ils s’y sont trouvés impuissans, et