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par la Gauche sur les « modifications apportées aux décrets du 24 novembre 1860. »

Cette interpellation fut soutenue par Lanjuinais, Marie, et surtout Jules Favre. Ne voulant pas me donner l’air de m’attribuer le mérite de la réforme, je ne me fis pas inscrire le premier, me réservant de saisir le moment propice pour faire l’acte public d’adhésion que j’avais promis à l’Empereur. Je voulais prendre la parole après Marie ; mais Vuitry, envoyé par Rouher, m’en empêcha. En réponse à ce ministre, Jules Favre prononça le manifeste de l’opposition. Rouher ne laissa pas un de ses sophismes haineux sans une réfutation péremptoire. Il répondit par un compliment inattendu aux impertinences : « Vous dites que l’Adresse est un droit primordial antérieur et supérieur, mais alors comment, depuis 1857 que vous êtes dans cette enceinte, n’avez-vous pas eu la pensée de la revendiquer ? Comment ! vous, les ardens et passionnés défenseurs des libertés du pays, vous qui avez soutenu pendant trois années, malgré votre petit nombre, avec une énergie digne d’admiration, les intérêts démocratiques que vous croyez représenter seuls, vous étiez en face d’un droit primordial absent, et vous ne l’avez pas réclamé depuis 1857 jusqu’à 1860 ! »

Au milieu des acclamations, il raconta qu’au moment du traité de commerce, l’Empereur lui avait dit : « Croyez-moi, abaissons les barrières ; toutes les libertés sont sœurs ; la liberté commerciale engendrera les autres libertés ; elles viendront graduellement à leur heure. Je n’ai pas reçu la mission de fonder dans cet Empire l’ordre et l’autorité ; ma mission plus ou moins prochaine, c’est de fonder à la fois la liberté et le pouvoir, c’est d’arriver, dans cette nation, qui s’est livrée à moi éperdue, éplorée, dévorée par l’anarchie, à rétablir l’ordre et la sécurité d’abord, et en faire le principe graduel de toutes les libertés publiques qui constituent un grand pays et une grande civilisation. »

Je donnai plusieurs fois le signal des applaudissemens et, quand je demandai la parole, ce ne fut ni pour atténuer, ni pour compléter les démonstrations du ministre. Je tenais seulement à apporter l’adhésion publique promise à l’Empereur. Je fus stupéfait de voir ma demande accueillie par une explosion de cris : « Aux voix ! » proférés par les amis de Rouher. De la tribune, je les regardais, courant de banc en banc, se donnant le