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tribune. Depuis 1851, elle avait été remplacée par le banc des commissaires du gouvernement. Cet arrangement, tout naturel dans une salle rectangulaire où, comme en Angleterre, le parti de l’opposition est d’un côté et celui du gouvernement en face, était très gênant dans une Chambre disposée en amphithéâtre, et chaque orateur, parlant de sa place, était difficilement entendu de toute l’Assemblée. Mais cela était fort commode à Thiers, qui, au lieu de se fatiguer en restant debout, avait pris l’habitude de s’asseoir, pendant qu’il parlait, sur le banc placé derrière lui. Quand il apprit qu’on lui retirait cette commodité, il entra dans une exaspération aussi violente que s’il s’agissait du salut de la France, et il écrivit lettres sur lettres de protestation à Walewski. Celui-ci ayant persisté, il se rabattit à ce que la tribune fût adaptée à son usage particulier. Avec l’assentiment de l’excellent président, il la fit refaire plusieurs fois jusqu’à ce qu’elle fût à la portée de sa petite stature ; les hommes de taille ordinaire pouvaient à peine s’en servir.

Ce changement matériel produisit dans l’opinion une impression plus considérable que la lettre du 19 janvier. — La tribune est rétablie, cela signifiait : La liberté est rendue. Ceux qui ne s’en applaudissaient pas s’en effrayaient. Vaillant écrit : « Dans la nuit du 3 au 4 février, je rêve qu’on me mène à la guillotine ; j’approche de la machine ; elle était voilée ; le voile tombe !… c’était la tribune qu’on rétablit à la Chambre. »


VII

Je n’avais reçu aucun signe de Rouher depuis sa lettre et j’ignorais ce qu’il préparait. Je savais seulement que ses amis me minaient dans la majorité et tenaient contre moi les plus mauvais propos : il ne fallait pas croire à mon désintéressement ; je ne me fixais à rien ; j’oscillais perpétuellement entre mes anciens amis et la majorité ; je n’avais pas réussi à être ministre ; j’avais voulu sans succès renverser le ministre d’État, etc. Toutefois, en entrant dans la séance, je m’avançai vers son banc et je lui tendis la main en signe de concours, ce que je n’avais jamais fait. J’obtins, non sans peine, de tous les signataires de l’amendement des Quarante-Deux qu’ils voteraient pour l’ordre du jour, c’est-à-dire pour le gouvernement, dans l’interpellation déposée