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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/589

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UN PEINTRE AU JAPON.

lignes générales et le caractère général des saisons. La beauté même du paysage est en grande partie illusoire, une beauté de couleurs changeantes, de brumes mouvantes, de mirage. Et si les dieux s’attardent, répandant une vague émotion religieuse à travers le crépuscule des bois qui enveloppent leurs demeures, c’est peut-être parce qu’ils sont sans forme et sans substance. De l’Inde aryenne, par la Chine, est venue se joindre à cette impermanence naturelle l’impermanence psychique du bouddhisme.

Une religion qui enseigne que l’univers tout entier est illusion, la vie une halte momentanée dans un voyage infini, que tout attachement aux personnes ou aux choses ne produit que chagrin, que l’humanité ne peut atteindre la paix éternelle que par la suppression de tout désir, une telle religion devait s’harmoniser avec le sentiment de la race. Le peuple ne chercha jamais à pénétrer la philosophie plus profonde de la religion importée, mais sa doctrine d’impermanence influença profondément le caractère national et ajoute chez lui à la patience originelle. Même dans l’art japonais, elle a laissé sa trace, car le bouddhisme enseignait bien que la nature était un rêve, une fantasmagorie, mais il enseignait aussi aux hommes à saisir l’impression fugitive de ce rêve et à l’interpréter en relation avec la plus haute vérité. Voilà pourquoi les Japonais ont saisi dans le passage d’un nuage ou la floraison rapide du printemps des paraboles d’une signification éternelle ; voilà pourquoi dans les nombreuses calamités qui les ont assaillis, incendies, inondations, tremblemens de terre, ils n’ont vu que la preuve incessante et répétée de l’illusion qui passe. L’absence de témoignages réellement solides et grandioses des très grandes choses qu’a accomplies le Japon indique les procédés spéciaux de sa civilisation : des chefs-d’œuvre se fabriquent sous de simples hangars, l’industrie reste dispersée, le capital industriel n’existant pas, et le gouvernement donne le même spectacle, rien n’y est fixe, sauf le trône. Tous les hauts fonctionnaires civils et militaires sont changés à de courts intervalles. Dans les écoles, directeurs et professeurs se déplacent incessamment. Nous sommes habitués à croire qu’un degré quelconque de stabilité est nécessaire à tous les grands progrès, mais le Japon a donné la preuve irréfutable du contraire. Et l’explication en est dans le caractère de la race uniformément mobile, uniformément impressionnable, marchant comme un seul homme vers un but qui l’intéresse tout entière,