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UN PEINTRE AU JAPON.

Quant aux soldats, ils sont silencieux et doux comme de petits écoliers en classe. Ni vantardise, ni gaîté ; les prêtres bouddhistes exhortent les escadrons dans la cour des temples ; une grande cérémonie religieuse a été célébrée sur le terrain de parade, l’application d’une lame de rasoir sur chaque jeune tête de soldat symbolisant le renoncement volontaire aux vanités de la vie. Dans tous les antiques sanctuaires, ce sont des prières aux dieux des armées, aux ombres des héros qui moururent pour leur empereur. Mais les rites les plus imposans sont célébrés à Houmyöji, le monastère où pendant trois siècles ont reposé les cendres de Kato Kiyomasa, le conquérant de la Corée, l’ennemi des Jésuites, le protecteur du bouddhisme ; à Houmyöji, le chant sacré des pèlerins sonné comme le rugissement de la mer. Aussi le bruit circule-t-il que, la nuit, des chevaux invisibles piaffent dans la cour du temple et qu’une ombre puissante est sortie de son sommeil pour conduire une fois de plus à la victoire les armées du Fils du ciel. Les soldats, des garçons ignorans et simples venus de la campagne, ne discutent pas plus cette légende que les Athéniens ne discutèrent la présence de Thésée à Marathon. Mais ce n’est point avec ceux-là que s’entretient Lafcadio Hearn dans le touchant récit intitulé : Un vœu réalisé.

Un de ses anciens élèves est venu lui dire adieu, un beau garçon dont le régiment va partir le jour même pour la Corée. Ils devisent ensemble du bon temps de Matsue, au cours du repas qu’ils prennent en tête à tête. Fils de riches fermier ? Asakichi a fait des études complètes, ce qui ne l’empêcha pas, à sa sortie de l’école, d’aider ses parens dans leurs travaux ; puis, à dix-neuf ans, il a été convoqué au temple pour un examen tant intellectuel que physique, après lequel on le déclara propre au service militaire. Inscrit comme ichiban (de première classe) par le médecin et le major recruteur, il fut pris à la conscription suivante. Sergent au bout de treize mois, il a demandé de quitter sa garnison dans la crainte de n’être pas envoyé en Corée.

— Maintenant, je suis si heureux ! s’écrie-t-il avec une soudaine rougeur, honteux d’avoir ainsi trahi ses sentimens.

— Vous rappelez-vous, lui dit le maître, quand, à l’école, vous exprimiez le désir de mourir pour Sa Majesté l’Empereur ?

— Oui, répond-il, et cette chance est venue, non seulement à moi, mais à plusieurs de ma classe.