Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/611

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

couplet patriotique tout en grommelant : « Anen ! vaï !… L’an cambiat[1] !… » C’est égal, je plains les deux officiers d’ordonnance qui avaient accompagné le ministre : un mécanicien et un ingénieur. L’un d’eux, au moins, a dû souffrir.


29 septembre. — Je suis allé à la gare voir le départ de nos maîtres. C’était assez tard et il n’y avait que peu de monde. Les types n’en étaient que plus curieux à observer.

Voici, en uniforme, l’aide de camp du préfet maritime, Pardes, et son bon petit sourire. Il a précédé le cortège officiel. Une voiture s’arrête : le chef de cabinet du ministre en descend, traverse rapidement les groupes et vient serrer la main de Pardes, avec qui il cause un moment. Puis, avisant les chefs des syndicats, un peu à part du commun populaire et pelotonnés dans leur dignité, le chef de cabinet va prendre congé de ces puissances. Il me semble que c’est un peu froid, et l’on m’a dit tantôt qu’il avait eu occasion de faire entendre aux ouvriers du port quelques vérités.

Brouhaha à la porte ; un landau ; deux, trois landaus : c’est le ministre et les amiraux. Le ministre mâchonne un bout de cigare ; il marche, une épaule en avant, tanguant un peu (à la bonne heure !), regardant sous le nez les gens qui le serrent d’un peu trop près. Nous perdons le sens du respect, mais nous gardons intact celui de la curiosité. Les amiraux suivent. Il y en a de grands et de petits. Derrière eux, quelques seigneurs de moindre importance, capitaines de vaisseau et capitaines de frégate, ceux du voyage de Tunisie. On passe sur le trottoir. Le préposé aux salles d’attente est débordé par le flot qu’entraînent les grands chefs dans leur sillage. Il veut arrêter un quidam qui ne lui paraît pas vêtu des laissés pour compte des grands tailleurs. Il lui demande son billet. Son billet ?… Péchère !… Son billet !… De violens murmures avertissent l’employé que quand la démocratie coule à pleins bords, ce n’est guère le moment de se montrer difficile sur la coupe d’un vêtement : il se retire avec un geste d’angoisse impuissante. Tel M. de Dreux-Brézé en présence des cordons de souliers du vertueux Roland.

Sur le trottoir de la gare, en attendant le train, le simple omnibus de Marseille, qui est en retard, le ministre fait cercle

  1. « Allons ! on nous l’a changé ! »