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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/622

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kiosque de la musique, des ombres qui errent, les ombres mélancoliques de l’entre chien et loup…

Tout cela calme, silencieux, étouffé presque.

J’aime toujours bien cette place d’armes, qui était encore, il y a vingt ans, le cœur de la ville maritime, le rendez-vous naturel des officiers et des fonctionnaires. Aujourd’hui, c’est plus haut, sur la Place de la Liberté, qu’on se rencontre et l’on ne fait que passer sous les majestueux platanes du « Champ de bataille, » entre les rangées de bancs où les vieux « m’a fa tort » se racontent pour la centième fois les uns aux autres leurs campagnes, leurs aventures et les injustices qu’ils ont subies.

Elle est pleine de souvenirs, elle aussi, cette vieille place. Savez-vous, par exemple, avec quelle souriante et discrète élégance on pratiquait le « pot-de-vin » sous l’ancien régime ? Lisez donc, dans le livre de M. Teissier, Quelques rues de Toulon, l’histoire de la dépossession des Capucins, en 1781, et de la démolition de leur couvent, sur l’emplacement duquel la municipalité voulait élever la rangée de belles maisons qui forme aujourd’hui le côté Est de la place. Les consuls écrivaient, le 4 février, à leur agent à Paris, M. de la Sablonnière, secrétaire du premier ministre, M. de Maurepas : « Nous vous avons marqué dans le temps, monsieur, que nous nous proposions de faire présenter quelque chose d’honnête à M. Silvestre (le premier commis de M. Amelot, ministre de la maison du Roi, qui avait la charge des affaires concernant les établissemens religieux), en reconnaissance des peines et soins que lui a donnés l’affaire de notre seconde paroisse[1]. Nous pensons que nous ne devons pas différer davantage de nous acquitter envers lui. Comme nous ne pouvons pas prévoir d’ici ce qui peut lui être le plus agréable, nous vous prions d’en faire vous-même le choix et d’agir en conséquence. Nous vous autorisons à y employer jusqu’à concurrence de 3 000 livres, si vous pensez que cette somme soit suffisante pour faire un cadeau honnête et décent. » M. de la Sablonnière avait tout d’abord essayé de mettre 125 louis (de 24 livres) sur le bord du bureau du premier commis ; mais ce galant homme le contraignit à reprendre la bourse, protestant qu’il ne voulait point de « présens. » Il tolérait seulement les « cadeaux » en nature et M. de la Sablonnière se vit réduit à lui faire parvenir :

  1. En même temps que les maisons, mais un peu en retrait sur celles-ci, on devait construire une église, qui est aujourd’hui l’église Saint-Louis.