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dans l’arsenal à six heures, alors que, s’il y avait un canot pour nous recevoir au quai Cronstadt, il ne pousserait qu’à six heures trente. Veuillez agréer, etc. »

On ne voit pas bien comment cette embarcation, partant du quai à six heures trente arriverait à bord à six heures trente. Mais le fin mot c’est que les officiers ayant un canot à leur disposition, le canot major, les sous-officiers veulent avoir le leur, que mon ami Varois appelle plaisamment déjà le canot minor. Ils y arriveront, et, après eux, les quartiers-maîtres et puis les simples brevetés. En France, aujourd’hui, tout le monde veut être de la première moitié.

En attendant, félicitons le commandant du Richelieu d’avoir trouvé des défenseurs — conditionnels — dans les rangs de ses subordonnés. Quand viendra le « grand chambardement, » quand on nous poursuivra dans les rues de Toulon, si le commandant T… a la chance de rencontrer l’un des officiers mariniers qui veulent bien lui témoigner aujourd’hui leur satisfaction, peut-être échappera-t-il au sort des Rochemore, des Sacqui des Tourets, des Désidéry. Le commissaire général Possel allait être, un jour de juillet 1792, accroché à une lanterne de la rue de l’arsenal, lorsqu’un sous-officier d’artillerie de marine, à qui il avait rendu quelque service, le reconnut et, dégainant, le tira des mains de la populace.


8 novembre. — Comme j’allais ce soir au Mourillon, j’ai vu un rassemblement d’ouvriers à l’entrée de l’une des rues qui montent au sommet de la colline. Le conducteur du tramway répond à ma question : « C’est comme ça depuis quelques jours. Ils veulent faire un mauvais parti à un contremaître de l’arsenal parce qu’il exécute une consigne qui leur déplaît. La femme de ce contremaître est enceinte ; malade de peur, elle risque d’avorter paraît-il, et lui, il ne sort plus qu’encadré de gendarmes. » Mon homme dit cela fort posément. Il voit les choses de haut, du haut de sa plate-forme. D’ailleurs il n’est pas ouvrier ; il est employé. Tout de même, il a un patron, et aussi un contrôleur : autant d’ennemis. Bref, il ne sait pas bien de quel côté il se tournerait, le cas échéant.

Je descends. Je traverse les groupes. Il y a là, évidemment, avec pas mal de badauds, beaucoup de menés pour très peu de meneurs. Chez ceux-ci, la haine éclate, une haine féroce, de