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assidu n’a pu que rendre plus chère encore une fréquentation qui, si longue qu’elle soit déjà, leur réserve toujours bien des découvertes et des délectations nouvelles. Dans toutes les circonstances de la vie, la vue des chefs-d’œuvre est salutaire et, suivant nos dispositions intimes, ils ont sans cesse des révélations à nous faire sur le génie des maîtres qui les ont produits, sur les traits qui composent leur originalité, sur l’époque et le milieu où ils ont vécu. Que si parfois vous êtes indifférent ou fermé à leur langage, c’est vous-même que vous devez accuser, car il faut mériter leurs confidences. D’autres fois, en revanche, leur contemplation est féconde, ils nous élèvent jusqu’à eux et ouvrent en nous des horizons nouveaux. Comme pour ces personnes aimées, qui sont trop rapprochées de nous pour que nous puissions les juger, il suffit d’une courte séparation pour nous faire comprendre tout ce que vaut le Louvre. Pour mon compte, après avoir à maintes reprises visité les autres musées de l’Europe, tout plein des impressions qu’ils venaient d’éveiller en moi, j’ai toujours eu hâte, à mon retour, de les comparer à notre musée national. C’est avec une satisfaction profonde que j’y retrouvais intactes ou plus vives encore toutes mes admirations pour les chefs-d’œuvre qu’il renferme. Et quand on songe que tant de richesses, le patrimoine et l’honneur de la nation, sont exposées à la perpétuelle menace d’être anéanties, comment s’expliquer que ceux qui en ont la garde et qui parlent avec attendrissement de leur amour pour les arts, s’endorment dans une quiétude criminelle sur ce danger, sans penser aux écrasantes responsabilités qu’il fait peser sur eux et aux malédictions qui les suivraient dans leur retraite, si, ce qu’à Dieu ne plaise, une irréparable catastrophe venait justifier la légitimité de nos protestations et l’étendue de nos craintes !


EM. MICHEL.