Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/782

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

militaires qu’elle s’impose pour sa sécurité, ils sont cependant préférables à cette querelle de mur mitoyen pour laquelle, depuis trois cents ans, elle a dépensé le plus clair de ses forces, perdu le Canada, les Indes, la Méditerranée, abandonné à l’Angleterre les sources véritables de richesse. L’Angleterre, à son tour, ne peut plus exciter contre elle la jalousie des nations voisines. Cette arme de combat, si efficace autrefois, s’est émoussée dès l’instant que nous ne faisions plus ombrage à l’Europe. Notre rivale, si elle veut nous tenir en échec sur mer, doit se résigner à la lutte corps à corps. Mais cette lutte elle-même est devenue beaucoup plus difficile et plus incertaine depuis que les deux nations, enrichies l’une par l’autre, unies et comme entrelacées par un commerce qui s’élève à plusieurs milliards, ne sauraient en venir aux mains sans se porter mutuellement des coups terribles. De sorte qu’en 1880, la Grande-Bretagne ne pouvait employer contre nous ni la diplomatie ni la guerre : de ces deux instrumens de sa grandeur, l’un était frappé d’impuissance par les changemens survenus en Europe, et l’autre s’était rouillé dans une longue paix.

Les occasions ne manquaient pas plus à la France que le moyen de s’en servir. Bien loin d’être contraire au tempérament français, la vocation coloniale lui est si naturelle que toute la mauvaise volonté de nos gouvernemens n’avait pu la détruire. Pendant que l’Empereur rêvait dans les Tuileries, nos soldats et nos marins avaient agi un peu partout, d’autant plus heureux et plus habiles qu’ils échappaient davantage à l’influence du gouvernement central. Livrés à leur seule initiative, ils faisaient des merveilles. Faidherbe avait eu le temps d’organiser le Sénégal et de pousser les premières reconnaissances dans l’intérieur du pays. L’initiative de nos marins, secondée par un ministre énergique, M. de Chasseloup-Laubat, avait jeté les premiers fondemens de la Cochinchine. Les efforts des amiraux Rigault de Genouilly, Page et Bouard, l’administration habile de l’amiral de La Grandière, l’initiative hardie de Doudart de Lagrée commençaient à donner des fruits. La Nouvelle-Calédonie avait été occupée dès 1853 ; Obock, dans la Mer-Rouge, en 1862. Nous avions fait valoir des droits sur Zanzibar ; et, si notre action à Madagascar n’était pas suffisamment vigoureuse, nous ne laissions pas cependant périmer des titres qui remontaient au cardinal de Richelieu. Enfin nous n’étions puissans nulle part, mais on nous