su fonder une rythmique dont l’ampleur, dont la variété, dont la liberté nous étonne et nous ravit encore aujourd’hui. Rien de plus original à cet égard, et de plus admirable, que l’œuvre d’un Claudin Lejeune et particulièrement son recueil intitulé le Printemps. La « Préface sur la musique mesurée, » imprimée en tête de l’ouvrage, a l’importance d’un programme ou d’un manifeste. « Les Anciens, y est-il dit, les Anciens qui ont traité de la musique l’ont divisée en deux parties, harmonique et rythmique… La rythmique a été mise par eux en telle perfection, qu’ils en ont fait des effets merveilleux, émouvant par icelle les âmes des hommes à telles passions qu’ils voulaient… Depuis, cette rythmique a été tellement négligée qu’elle s’est perdue du tout ; et l’harmonique depuis deux cents ans a été si exactement recherchée, qu’elle s’est rendue parfaite, faisant de beaux et grands effets, mais non tels que ceux que l’antiquité raconte. Ce qui a donné occasion de s’étonner à plusieurs, vu que les Anciens ne chantaient qu’à une voix et que nous avons la mélodie de plusieurs voix ensemble… Personne ne s’est trouvé pour y apporter remède, jusques à Claudin Lejeune, qui s’est le premier enhardi de retirer cette pauvre rythmique du tombeau où elle avait été si longtemps gisante, pour l’aparier à l’harmonique. Ce qu’il a fait avec tel art et tel heur, que du premier coup il a mis notre musique au comble d’une perfection qui le fera suivre de beaucoup plus d’admirateurs que d’imitateurs ; la rendant non seulement égale à celle des Anciens, mais beaucoup plus excellente et plus capable de beaux effets, en tant qu’il fait ouïr le corps marié avec son âme, qui jusqu’ores en avait été séparée… La preuve s’en verra ès chansons mesurées de ce Printemps. »
La preuve s’en voit encore en ces « chansons, » dont plusieurs atteignent à l’ampleur de véritables poèmes lyriques. Et c’est la rythmique surtout qui fait leur grandeur et leur beauté. Telle pièce, comme la Belle Aronde, est un chef-d’œuvre deux fois : par les proportions numériques des voix et par les proportions métriques des membres ou des périodes.
Ce poème en l’honneur de l’hirondelle se divise en « chants, » ou couplets, séparés par un « rechant, » ou refrain. Tandis que les uns sont à quatre voix, l’autre, plus riche, en comporte six, et c’est un charme déjà que ce balancement clos deux groupes inégaux. Mais la beauté supérieure et vraiment antique du mor-