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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/889

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LES ÉPOQUES DE LA MUSIQUE.

ment par de brèves déplorations, par d’exquises épitaphes de femmes.

Parmi les maîtres signalés ou plutôt révélés par M. Expert, si Claude Lejeune est le premier des musiciens pittoresques, il semble que Guillaume Costeley soit le plus touchant, le plus pathétique des musiciens d’amour. Certain « envoi » qu’il fit de son œuvre atteste qu’il se rendait justice :

 
Va donc, mon labeur ; suis tous ceux qui t’aimeront,
Je say bien que tu crains quelque cérémonie ;
Va, va ! ne t’ébahis de ceux-là qui diront :
Ce Costeley n’a pas d’un tel le contrepoint ;
Il n’a pas de cestuy la pareille harmonie —
J’ay quelque chose aussi que tous les deux n’ont point.


Il se connaissait bien. Avec ce que « tous les deux, » et même tous les autres possèdent : science du contrepoint et de l’harmonie, grâce des rythmes, coloris des modes, il a plus de vie encore : une vie intérieure ou sentimentale, dont aujourd’hui non seulement rien n’est mort, mais dont rien n’a vieilli ou passé.

De cette vie surabondante, la succession des notes, autant que leur combinaison, commence à devenir l’interprète. C’est un grand mélodiste que Costeley. Chez lui, mieux que chez la plupart de ses contemporains, on voit se former et se dégager la ligne vocale. Il crée à tout moment des chants admirables. La voix qui les chante les pourrait chanter seule. Les autres voix ne font guère plus que l’accompagner. Elles la soutiennent et la fortifient ; mais désormais, au lieu de l’égaler, elles lui sont soumises. Ainsi l’ordre, la hiérarchie moderne commence à s’établir parmi les sons. Dépouillée de l’appareil polyphonique, telle pièce de Costeley, par exemple : Mignonne, allons voir si la rose, demeure une exquise monodie. Souple et déjà docile, la mélodie de Costeley tantôt se concentre, dans la formule concise de la chanson ou dans la forme plus flottante, mais toujours brève, qui deviendra celle du lied ; tantôt elle se développe en un long poème d’amour ; amour le plus souvent mélancolique, jusque dans l’inconstance et l’infidélité : témoin la pièce charmante et qu’embaume le parfum des modes anciens :

Allez, mes premières amours ;
Approchez, mon amour seconde.