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REVUE DES DEUX MONDES.


Il va, cet amour, de lui-même et par sa pente naturelle, jusqu’à la tristesse, au désespoir.

 
Je plains le temps de ma jeunesse folle,
Je plains le temps que je fus à l’école
De ce faux Dieu qui tous les siens affole.
Je plains l’amour qu’il a de moi tirée ;
Je plains la foi que je lui ai jurée
Et que plus tôt ne l’en ay retirée.


Bien chantée et bien dite (l’un et l’autre serait nécessaire) par une belle voix de soprano, que les trois autres voix entoureraient plus douces, de cruelle terrible et presque atroce beauté ne serait pas cette plainte, sortant comme des ruines de quelque funeste amour !

Nous parlions tout à l’heure de pressentimens, et des lueurs étranges que portent parfois à leur cime les plus beaux de ces anciens chants. Il en est un, de Costeley toujours, qui va très loin dans l’avenir. Il s’achève par ces trois vers :

 
Ô misérable amour ! Hélas, mort, viens parfaire
En nous ce que son feu mutuel ne peut pas,
Nous joignant l’un à l’autre au moins par le trépas.


C’est le thème poétique de Tristan. Et quant à la musique, impossible, hélas ! à citer, sans doute elle ne révèle point au dehors, — les deux formes étant trop différentes, — mais en elle-même et comme au fond de son âme elle porte déjà l’âpre maléfice et le poison enivrant du chef-d’œuvre wagnérien.

« Chants martiaux, graves, honnêtes, polis et gaillards. » Cette fois non plus Costeley ne se flattait point. Il a tenu plus qu’il n’avait promis de son siècle et de lui-même. Et dans la préface de la précieuse collection que nous venons de parcourir, il semble que l’éditeur, à son tour, ait eu trop de modestie. M. Expert s’engageait à révéler « un coin ignoré de l’âme française. » Si nous ne l’avons pas trahi, vous estimerez sûrement qu’il a fait davantage.

Camille Bellaigue.